Annexe

Nous avons placé en annexe les textes préparatoires à un chapitre devant analyser les discours publics des porte-parole de SOS-Racisme. Notre intention était de montrer que le contenu des répertoires argumentatifs de SOS évoluait, tant sur le plan des prises de positions partisanes que sur celui des propositions programmatiques en fonction des nécessités tactiques de l'engagement dans les luttes partisanes et en particulier en fonction de la couleur politique des pouvoirs publics. Ce chapitre n'ayant finalement pas été écrit, il nous a cependant paru difficile de ne jamais analyser les discours de SOS-Racisme. Aussi plaçons-nous ici une analyse descriptive de la succession des prises de position politiques des porte-parole de l'association puis de ses programmes successifs.
    L'analyse du discours de SOS vise à mettre en évidence les modalités de l'intervention de l'association dans la concurrence entre les acteurs politiques. Les prises de position des porte-parole de SOS à l'égard des partis et des hommes politiques sont soumises à des contraintes d'expression liées à la difficulté de concilier l'intervention dans les luttes politiques et le maintien d'une position d'extériorité à l'égard des logiques proprement partisanes. Cette position d'extériorité (« l'apolitisme » de SOS-Racisme) donne au discours tenu par l'association une légitimité particulière mais implique un travail symbolique permanent de déni des propriétés des membres fondateurs et de leur trajectoire politique. Nous montrerons donc que le discours de SOS est extrêmement sensible aux modifications des configurations politiques mais aussi à celles de l'image politique de l'association.

Les prises de position publiques de SOS-Racisme

Le Corpus

Pour retracer l'évolution des propositions programmatiques et des prises de positions politiques de SOS-Racisme, j'ai utilisé les interventions publiques écrites des porte-parole de l'association que j'ai pu retrouver [1]. Les interventions télévisées d'Harlem Désir n'ont pu être consultées mais le corpus dépouillé comprend les livres publiés par les dirigeants de l'association, les tribunes publiées par des membres de SOS-Racisme et les interviews accordées par les porte-parole de l'association ; soit 63 entretiens dont cinquante-six d'Harlem Désir, trois de Julien Dray, trois d'Hayette Boudjema et une de Malek Boutih (voir tableau 1), et 27 tribunes dont 14 d'Harlem Désir, 8 de Malek Boutih, 2 de Julien Dray, 2 de Francis Terquem.

Tableau 1 : nombre d'interviews et de tribunes publiées entre 1985 et
                   1992 par les porte-parole de SOS-Racisme.


Année

Interviews

Tribunes

Livres et documents

1985

10

11

1

1986

5

1

0

1987

9

3

2

1988

8

1

0

1989

9

4

0

1990

9

3

1

1991

7

1

1

1992

6

3

0

Total

63

27

 

Pour étudier l'évolution du discours de SOS sur le racisme et de ses propositions de programme, j'ai privilégié les sources qui avaient été explicitement conçues dans le but de présenter de façon cohérente les analyses et les propositions de l'association. J'ai donc principalement travaillé sur les livres et les brochures publiés par l'association plutôt que sur les interviews parues dans la presse [2].
    Pour analyser l'évolution du positionnement politique de SOS-Racisme, l'ensemble des interviews, des tribunes et des livres publiés par les porte-parole de l'association a été dépouillé et leurs prises de positions envers les responsables des partis politiques et le « jeu politique » systématiquement relevées. Les extraits que nous présentons ci-dessous ne constituent pas un simple « échantillon » des prises de positions de SOS mais un relevé relativement complet des déclarations des porte-parole de l'association vis-à-vis des hommes politiques. Le nombre et le volume de ces déclarations sur la politique sont assez importants car nous verrons qu'une proportion considérable des interventions publiques de SOS-Racisme est justement consacrée à prendre des positions politiques ou, selon les termes employés par Harlem Désir, à « interpeller l'ensemble des forces politiques » [3].
    Outre le traitement qualitatif des déclarations publiques des porte-parole de SOS, on a réalisé un codage sur les 90 documents rassemblés. On a relevé dans chaque article les mentions (systématiquement négatives) du Front national, les mentions positives de l'action gouvernementale ou des personnalités politiques des partis « de droite », les mentions négatives de l'action gouvernementale ou des personnalités politiques des partis « de droite », les mentions positives de l'action gouvernementale ou des personnalités politiques des partis « de gauche » et les mentions négatives de l'action gouvernementale ou des personnalités politiques des partis « de gauche » (voir tableaux 2 à 6). Ces comptages permettront de mettre en évidence quantitativement l'évolution des thèmes et des orientations politiques de SOS.
    Pour des raisons de clarté, j'ai choisi de distinguer les prises de position politiques de SOS-Racisme de son discours programmatique. Nous verrons toutefois que ces deux ordres de discours ne sont que partiellement distincts et que des prises de position politiques sont induites par l'élaboration d'un programme plus détaillé. Dans un premier temps on s'intéressera aux modes d'intervention de SOS en politique. On s'attachera à rester au plus près des déclarations des acteurs pour restituer la logique des oppositions politiques dans lesquelles l'association va être engagée. On essayera de décrire la position de l'association dans les configurations politiques entre 1985 et 1992 et de reconstruire la logique des transformations du contenu des déclarations des porte-parole de SOS-Racisme.

    

A) Les prises de position politiques de l'association

Contrairement à d'autres organisations antiracistes qui fondent leur action sur l'aide aux victimes du racisme et sur leurs interventions « sur le terrain », SOS est explicitement conçue par ses fondateurs comme une association qui agit sur les responsables politiques (voir également le texte 3 dans lequel Harlem Désir revendique une stratégie de lobbying et texte ci-dessous notes 17 et 18) et qui cherche à se poser comme interlocuteurs des pouvoirs publics :

En tant que mouvement d'opinion, notre association a cherché à utiliser à plein les mass-média dès sa création. Notre vocation est d'agir sur les mentalités et d'obtenir des évolutions législatives et administratives. [...] [Nos relations avec le pouvoir] sont dictées par la nature de notre association. Si cela peut faire avancer les choses, nous nous appuyons sur les pouvoirs publics, quels qu'ils soient, nationaux ou locaux, de droite ou de gauche, verts ou roses. S'ils sont un obstacle, si nous sommes en désaccord, nous nous exprimons, nous faisons nos propositions et nous nous opposons, le cas échéant. Nous savons bien que la société n'est jamais aussi convaincante à l'égard du pouvoir que quand elle impose son rapport de force [4].
   Nous nous concevons comme un mouvement de la société civile par rapport à l'Etat. Cela ne signifie pas que l'on ait une attitude apolitique ou de rejet du politique. Au contraire, sur une cause précise, sur un enjeu particulier de société, nous pensons qu'il est nécessaire de dépasser les clivages politiciens et partisans, et de susciter un vaste mouvement d'opinion qui interpelle tous ceux qui ont en charge la gestion des affaires publiques [5].

Nous avons adopté un découpage scandé par les alternances politiques de 1986 et de 1988. Nous verrons que ce découpage est pleinement justifié par l'adaptation très rapide du discours politique de SOS aux changements de majorités gouvernementales.

1 ) Le gouvernement de Laurent Fabius de 1985 à mars 1986

Le principal souci des porte-parole de SOS est d'abord de situer l'association en dehors du « jeu des partis », des « clivages politiques ». L'antiracisme est un thème de mobilisation traditionnel des partis « de gauche » et « d'extrême gauche » et il a beaucoup servi dans les années soixante-dix. Les fondateurs de SOS veulent justement rompre avec la tonalité « de gauche » des manifestations antiracistes qui leur paraît en limiter la capacité de rassemblement aux plus politisés. En quittant la LCR, Julien Dray souhaite rompre avec une logique de mobilisation menée sur une ligne très radicale et qui recueille de moins en moins d'échos.
    Apparaître d'emblée comme une organisation de gauche critiquant ceux qui, à droite, envisagent de faire alliance avec Jean-Marie Le Pen, exposait l'association à ne recevoir de soutien que de ceux qui acceptent une identification « à gauche » et à être critiquée par tous ceux qui se sentent proches de « la droite ». L'association n'aurait pu se prévaloir d'échapper et de dépasser les contraintes partisanes et les critiques d'ordre politique se seraient multipliées. Les opinions sur SOS auraient ainsi été distribuées selon la logique du jeu politique et en fonction des proximités partisanes. Devenue enjeu de débats politiques dans le champ politique, c'est-à-dire une organisation politique, l'association n'aurait pu mobiliser ceux que la politique, définie comme telle, rebute.
    Les fondateurs de SOS cherchent au contraire à mettre en scène leur association pour qu'elle apparaisse comme un mouvement « moral » appartenant à la « société civile », à l'écart des luttes partisanes et électorales. La mise en forme de SOS est conçue pour offrir le moins de prise possible à la critique : pas de programmes ou de revendications qui pourraient être attaqués, des membres fondateurs présentés comme sans origines militantes et des prises de positions politiques qui n'excluent que le Front national. SOS est présenté comme un mouvement spontané d'indignation contre le racisme. En atténuant son caractère politique, SOS parvient, pendant quelques mois (entre février et juin 1985), à échapper aux contraintes du champ politique en faisant l'unanimité sur des objectifs antiracistes larges.

    

a) L'art d'apparaître apolitique

Pour apparaître apolitiques, les responsables de SOS tiennent deux discours en apparence contradictoires mais qui ont pour logique commune de montrer que l'association entend se tenir à l'écart des rivalités politiques. D'une part, ils déclarent que SOS n'est pas une association politique ordinaire et qu'ils se défient de toutes les organisations politiques :

SOS n'a rien à voir avec une organisation traditionnelle, ayant pignon poussiéreux sur rue tranquille, et défilant paresseusement le 1er mai avec tout le monde, parce que nous ne nous sentons ni concernés, ni représentés, ni défendus par ce type d'association. SOS ne s'intéresse pas aux partis politiques, parce que plus personne parmi les jeunes ne prend encore au sérieux leurs leaders sentencieux et leurs querelles ineptes. Mais de la politique, oui, nous en faisons, au coup par coup, parce que nous nous occupons de problèmes essentiellement “politiques”, c'est-à-dire relatifs à la vie des citoyens dans la cité. Nous ne nous préoccupons ni des discours ni des promesses. Nous jugeons des comportements. “Parler vrai”, pourquoi pas , encore faut-il “agir vrai” également [7].

Cette orientation qu'un commentateur hostile pourrait qualifier de « basisme apolitique » [8] (« les jeunes contre les organisations politiques poussiéreuses et sclérosées et leurs leaders coupés des réalités », « une nouvelle façon de s'occuper des affaires de la Cité en dehors des clivages droite-gauche archaïques », etc..) permet à l'association de mettre à distance l'ensemble du personnel politique sans distinction. Ce discours se retrouvera souvent par la suite lorsque SOS renverra la gauche et la droite dos à dos ou critiquera les politiques municipales de l'ensemble des partis politiques (voir textes 6, 7 et 11).
    D'autre part, les responsables de SOS déclarent vouloir dialoguer avec les partis politiques de « tous les bords », à l'exception du Front national :

Nous sommes surtout un groupe d'interpellation, à gauche comme à droite, un mouvement d'opinion. Il y a une extension de notre audience. Nous allons préparer des Etats Généraux qui déboucheront peut-être sur la rédaction de textes permettant d'interpeller la classe politique [9].
   SOS Racisme ne donnera pas de consigne de vote  – ce n'est pas sa fonction  – mais restera vigilante. Nous continuerons ainsi d'exercer une pression morale sur l'ensemble des forces démocratiques, celles qui excluent encore le mensonge, le cynisme, le racisme (c'est-à-dire en principe toutes, sauf, à peu de chose près, le Front national) [10].

Le souci des dirigeants de SOS est que leur action n'apparaisse pas dominée par les logiques partisanes du champ politique. Etre perçus comme de jeunes militants socialistes critiquant le Front national et ayant pour objectif de mettre en difficulté les partis concurrents aurait pour conséquence de décrédibiliser l'association auprès des journalistes. Les fondateurs de SOS voudraient l'imposer comme une association « de la société civile », à l'image de Médecins sans frontières ou d'Amnesty International, c'est à dire « neutre » politiquement. Il s'agit donc de donner une portée universelle à la cause de l'antiracisme et en faire un élément qui s'impose par delà les divergences, comme l'idée de république ou de démocratie.
    Qu'ils critiquent l'ensemble des partis politiques ou qu'ils dialoguent avec tous, les responsables de SOS-Racisme évitent de s'impliquer dans les luttes électorales. Harlem Désir déclare ainsi que le racisme est une question qui doit être traitée par le consensus de l'ensemble des hommes politiques, comme en Suède (voir texte 2) et félicite les fondateurs de SOS-Racisme en Belgique pour avoir réussi à maintenir l'équilibre entre la droite et la gauche (voir texte 1).
    Cette « neutralisation » politique de l'association et de son image publique implique un programme de revendications réduit. Des propositions trop précises auraient conduit l'association à critiquer l'action du gouvernement de Laurent Fabius ou la plate-forme électorale commune de l'U.D.F. et du R.P.R. (projet de réforme du Code de la nationalité, instauration des contrôles d'identité, etc.). En laissant leurs idées dans le flou, les responsables de SOS parviennent à maintenir un positionnement non-politique mais aussi à rendre la critique de l'association très difficile.
    Les dirigeants de SOS cherchent d'ailleurs moins à paraître comme « neutres » qu'à ne pas apparaître publiquement comme « de gauche ». En effet, venant pour la plupart du trotskisme ou de mouvements étudiants « de gauche », militant pour la plupart au Parti socialiste, ils ne risquent guère d'être critiqués comme « centristes ». Avant le concert de la Concorde, la plupart des journaux ont publié la trajectoire politique des principaux animateurs de SOS. Il s'agit donc pour eux de se démarquer de l'image « de gauche » qui risque de leur être accolée. C'est pourquoi le maintien de leur positionnement « neutre » et « non-politique » rend nécessaire des critiques sévères envers les partis de gauche :

Nous ne nous retrouvions pas dans les organisations existantes. Jusqu'alors, les partis de gauche étaient les garants de l'antiracisme et aujourd'hui ils ont peut-être une responsabilité dans la montée et la banalisation du racisme [11].

Harlem Désir n'explique pas quelle pourrait être la responsabilité des partis de « gauche » dans « la montée et la banalisation du racisme » ; si SOS n'hésite pas à attaquer le Parti socialiste, il ne met cependant jamais en cause, entre 1985 et 1986, la politique suivie par les gouvernements de Laurent Fabius ou de Pierre Mauroy. L'action du Président de la République n'est critiquée dans aucune des interviews d'Harlem Désir [12]. Les déclarations de démarquage visent donc principalement le Parti socialiste et le Parti communiste (voir textes 8 et 9). Harlem Désir peut ainsi attaquer la politique du logement conduite par les maires socialistes (voir texte 7), ou les déclarations de Jean Poperen soulignant la nécessité d'assimiler les immigrés (voir texte 6). Ces prises de position qui pourraient paraître contredire la « neutralisation politique » de l'association renforcent au contraire sa stratégie de positionnement « ailleurs qu'à gauche ». En revanche, à l'exception du Front national, SOS ne critique jamais les partis « de droite » en tant que tels : cela risquerait de donner de la consistance aux accusations de politisation qui lui sont adressées (voir textes 12 et 13) [13].
    Il est donc parfaitement conforme à la stratégie de SOS que l'association puisse à la fois critiquer l'ensemble des partis politiques « poussiéreux » et « ineptes », souhaiter dialoguer avec tous sauf le FN, ne jamais mettre en cause le R.P.R. et l'U.D.F. mais attaquer au contraire le Parti socialiste et le Parti communiste. Selon cette logique de positionnement « neutre », Harlem Désir et Julien Dray doivent principalement éviter tout ce qui pourrait les lier d'une manière ou d'une autre au Parti socialiste ou aux partis « de gauche » :

Dans l'Airbus [transportant les responsables de SOS allant à Menton après la mort d'Aziz Madak], nous retrouvons une équipe de TF1 allant filmer l'événement. La journaliste veut saisir l'occasion pour réaliser un portrait de moi en deux minutes. Et, comme elle vient de découvrir, au fond de l'avion, l'écrivain Max Gallo, ex-député de Nice et ex-porte-parole du gouvernement, qui se rend lui aussi à la manif, elle nous présente et nous propose de nous filmer, descendant ensemble de la passerelle de l'avion. Idée géniale ! De là à comprendre que Max Gallo m'avait emporté dans ses bagages, il n'y a qu'un pas, et je refuse donc poliment sa proposition. Mais la journaliste s'accroche ferme à son idée. Le ton monte et nous frisons carrément l'engueulade après un quart d'heure de polémique sur le thème des relations entre médias et SOS. Elle nous affirme que nous avons besoin de la télé, et que nous devons apprendre à faciliter les choses aux journalistes, au besoin en leur renvoyant l'ascenseur. Eternel débat... [14].

Cette anecdote, vraie ou fausse, montre que les dirigeants de l'association attachent une grande importance à l'image politique qu'ils veulent donner de SOS-Racisme et qu'ils sont surtout attentifs à contrôler cette image sur la gauche. Les fondateurs de SOS critiquent à plusieurs reprises les tentatives de « récupération » du Parti socialiste (voir textes 10 et 11) [15] ou les réactions du Parti communiste (voir textes 8 et 9) [16]. Par ailleurs, Julien Dray ou Harlem Désir s'emploieront à minimiser l'importance de leur ancrage à gauche même lorsque l'appartenance au Parti socialiste de la plupart des membres fondateurs sera devenue publique (voir textes 12 et 13). Les critiques du Front national et du Parti communiste servent les responsables de l'association dans leur effort pour se démarquer des clivages et des polémiques politiques : critiquée à la fois par « la droite extrême » et « la gauche extrême », SOS peut alors apparaître comme une association de « consensus », appartenant à la « société civile » c'est à dire comme une organisation crédible et raisonnable.

    

b) Un adversaire : le Front national.

Un seul parti est d'emblée exclu du consensus antiraciste : le Front national (voir textes 4 et 9). Il est considéré comme la force politique qui conduit les campagnes anti-immigrés et « qui transporte des idées racistes » [17]. SOS condamne les « discours tonitruants et éructants de Le Pen » et les « agressions de ses supporters » (texte 9). Pourtant, le Front national n'est pas la force politique dont Harlem Désir parle le plus dans ses interviews. Il semble considérer comme acquise la nature raciste du Front national et estimer inutile de l'attaquer : on ne critique pas un adversaire, on le combat. Pour les responsables de SOS le Front national, et ses militants semblent hors d'atteinte des discours antiracistes. Il ne s'agit pas de convaincre les électeurs du Front national ou ceux qui pourraient être tentés de voter pour lui mais d'isoler ce parti par une sorte de cordon d'infamie politique. Les porte-parole de SOS s'adressent donc surtout aux partis de la « droite classique » qui apparaissent susceptibles de faire alliance avec le Front national.

Lorsque Bernard Pons prit la parole [lors d'un meeting organisé par l'UEJF et SOS à la mutualité où “les socialistes avaient jugé utile d'y placer bon nombre de militants chargés d'assurer à la fois la claque pour Delanoë et le chahut pour les représentants de l'opposition”] son rappel des principes républicains d'accueil, de tolérance, de non discrimination en fonction des races ou des religions ne sembla pas satisfaire ses auditeurs. Ils lui reprochaient à voix haute le flirt (très poussé) de son parti avec Le Pen, et les discours sécuritaires et anti-immigrés de certains de ses membres. [...] [lors de ce meeting] Bernard-Henri Lévy et Olivier Stirn avaient proposé de définir une sorte de “code de bonne conduite” antiraciste en politique : rejet des pratiques et des discours anti-immigrés, refus de se faire élire avec le soutien des formations racistes, notamment. Tous les présents en firent la promesse solennelle. Au moins à titre personnel pour Bernard Pons, qui déclara ne pouvoir parler au nom du R.P.R. tout entier. On s'en doutait bien un peu... Mais cette parole donnée avait quand même valeur d'engagement et je la pris pour telle [18].

Selon sa stratégie de « lobbying », SOS n'entend pas agir sur le système politique en soutenant l'un des partis en compétition ou en donnant des consignes de vote lors des élections législatives de 1986 (voir texte 3 et ci-dessus notes 6 et 7) mais cherche à faire pression sur chaque parti pour sanctionner toute « faiblesse » vis-à-vis du Front national et pour dénoncer toute collaboration locale ou nationale avec les partisans de Jean-Marie Le Pen. Harlem Désir déclare vouloir établir un « cordon sanitaire » autour du Front national en interdisant toute alliance avec lui et donc toute application partielle de son programme. Evidemment, cette démarche vise plus les partis de la « droite classique » qui sont susceptibles de s'allier avec le FN que les partis de « gauche ».
    Mais Harlem Désir prend soin de distinguer au sein des partis « de droite » ceux qui entendent rester intransigeants avec le Front national et ceux qui semblent prêts à faire alliance avec lui. Il s'attache à reconnaître les « antiracistes sincères », de ceux situés « plus à droite », non pas accusés de racisme mais suspectés de vouloir transiger avec Le Pen pour gagner les élections. Simone Veil, Michel Noir, Bernard Stasi, Lionel Stoléru ou Raymond Barre sont fréquemment félicités pour leur opposition formelle à toute alliance avec le Front national (voir textes 4, 5, 6, 11 et ci-dessus). Toutefois, SOS ne décerne jamais de brevets d'antiracisme à des partis politiques (par exemple le CDS) mais toujours à des individus ; en outre, ce ne sont jamais des dirigeants politiques de première importance, susceptibles de briguer Matignon ou l'Elysée mais plutôt des personnalités politiques isolées ou ne disposant pas de l'appui d'un parti ; enfin, il ne s'agit jamais de membres du Parti socialiste ou de « la gauche » en général mais toujours des responsables « de droite » : tout se passe comme si l'antiracisme des responsables politiques « de gauche » était implicitement acquis.
    Le discours de « diabolisation » du Front national (selon les termes de Jean-Marie Le Pen) tend à rendre impossibles les alliances électorales, même locales, entre la « droite républicaine » et « l'extrême droite ». En identifiant ainsi un parti infréquentable, et en opposant, parmi les responsables des partis d'opposition, ceux qui sont susceptibles, par conviction idéologique ou par électoralisme, de s'allier avec le Front National, aux hommes de bonne volonté avec qui « un consensus est possible » (texte 6), Harlem Désir gêne moins le Front national que les partis de la « droite classique » [19]. Il tend à diviser l'U.D.F. et le R.P.R. puisque certains membres de ces organisations politiques (par exemple Michel Noir ou François Léotard) peuvent, pour promouvoir leur propre notoriété, être tentés d'entrer dans la logique de dénonciation du Front national [20]. La stigmatisation du Front national tend à contaminer [21] de proche en proche tous les responsables politiques qui sont amenés à prendre des positions « dures » sur les « questions de l'immigration » ou sur « la sécurité » [22].
    La « droite républicaine » constitue le « point d'application » de la stratégie politique de SOS-Racisme. Les responsables de SOS, en participant à la stigmatisation du Front national visent explicitement à l'isoler et à l'empêcher d'exercer une influence sur les partis de la « droite classique ». En augmentant le coût politique d'une alliance avec Jean-Marie Le Pen, l'action de SOS tend à exclure le Front national du jeu d'alliances potentielles des partis de la « droite classique ».
    Cependant, la stigmatisation du Front national a aussi pour effet d'induire des divisions au sein du R.P.R. et de l'U.D.F. entre ceux qui sont partisans d'une alliance officielle ou officieuse, et ceux qui prennent position contre toute perspective de rapprochement [23]. En outre, ce discours laisse penser qu'une partie de la « droite républicaine » serait soit « raciste », soit tentée par une alliance avec « l'extrême droite », au besoin en acceptant de faire une politique répressive envers les immigrés ou les jeunes « issus de l'immigration » [24]. Enfin, en agitant le danger du racisme et d'une alliance de toutes les droites contre la « gauche », SOS contribue probablement à remobiliser un certain nombre d'électeurs de « gauche » « déçus du socialisme » mais susceptibles de voter encore pour la gauche pour enrayer la progression du Front national.
    Un tel discours ne sera crédible et ne laissera pas prise à la critique que si SOS n'apparaît pas comme une organisation « de gauche » ordinaire critiquant des hommes politiques « de droite » selon la logique propre au jeu politique, mais comme une association « de la société civile » intervenant pour des raisons morales et humanitaires. Pour obtenir ce positionnement non-politique, Julien Dray et Harlem Désir doivent surtout se démarquer d'un engagement politique à gauche. Cette exigence tactique explique les brevets d'antiracisme et de courage politique décernés aux responsables « modérés » de l'opposition, les critiques exprimées à l'encontre des partis ou de la politique en général, mais aussi les nombreuses prises de distance vis-à-vis du Parti communiste et du Parti socialiste dont sont membres, par ailleurs, la plupart des fondateurs de SOS.



Texte 1

Lorsque les responsables de l'association sont contactés pour l'implantation de SOS dans d'autres pays, les relations avec les milieux politiques sont considérées comme essentielles ainsi que l'équilibre entre les différentes factions présentes :

Yannick et son équipe [les fondateurs de SOS en Belgique] étaient parfaitement sur la même longueur d'onde que nous, et firent preuve d'une grande habiletée dans le “positionnement” du mouvement vis-à-vis des hommes politiques, là-bas comme en France, toujours à l'affût de fréquentations électoralement payantes. Ils réussirent à obtenir que leur soutien reste distant et, surtout, équilibré, tant à droite qu'à gauche [25].

Texte 2

Contrairement à ce qui se passe en France, en Suède, la majorité et l'opposition marchent main dans la main pour régler le problème du racisme. L'immigration n'est pas l'objet d'une polémique droite-gauche, il existe un consensus entre les deux partis. L'ensemble de la classe politique se mobilise sur le sujet [26].

Texte 3

On a vu apparaître des candidats “beurs”. Ce type d'engagement ne vous tente pas ? [ réponse : ] Pour certains, les élections sont l'occasion de disposer d'une tribune. Nous préférons établir une stratégie de lobbying. SOS n'est pas une organisation politique, elle ne cherche pas à obtenir des députés, mais à exercer sur l'ensemble du personnel politique une pression en faveur de l'égalité des droits [27].

Texte 4

Les hommes politiques sont contraints d'être rigoureux quand ils parlent d'économie. Pourquoi l'immigration serait-elle un thème-défouloir, le seul domaine où on laisserait la part belle aux fantasmes et à l'irrationnel ? C'est pour cette raison que nous avons repris au vol l'idée lancée par Raymond Barre d'une “commission des sages”, que nous avons appelée “haute autorité de l'antiracisme”. Cette “haute autorité” devrait notamment permettre de soustraire le débat sur l'immigration aux polémiques politiciennes, de le mettre entre parenthèses dans cette campagne [28].

Texte 5

Il y a une majorité de gens qui, lorsqu'ils comprennent où mènent les campagnes anti-immigrés, ne peuvent que les refuser. Je crois en effet qu'il y a une certaine résonance dans la classe politique à ce frémissement de l'opinion. Ainsi l'appel à la fraternité des évêques, des loges franc-maçonnes, de toutes les confessions religieuses et des trois grandes associations antiracistes, a facilité incontestablement la prise de position de M. Barre [29].

Texte 6

On a très mal ressenti [la prise de position de Jean Poperen sur la nécessaire “assimilation” des immigrés ]. Cela montre que le clivage ne se situe pas entre la gauche et la droite, même si les “tentations” sont plus fortes dans l'opposition. D'ailleurs, une évolution s'est produite à droite grâce à la remontrance de Raymond Barre. Notamment sur la question des prestations sociales. Des gens comme Barre, Stasi, Veil prouvent qu'un consensus est possible. Evidemment ça demande aux hommes politiques plus de sens des responsabilités que de sens de l'électoralisme. [...] Tous les partis paient aujourd'hui leur manque de réflexion sur la question. Du coup le Front national réussit à être hégémonique sur ces thèmes [30].

Texte 7

C'est bien de protester après chaque assassinat ou attentat. De défiler avec des pancartes. Nous, bêtement, on a envie de rendre ça impossible ; mais comment ? Une certitude : on ne peut pas compter sur les partis de gauche  – la droite, on n'en parle même pas. Dans les municipalités qu'il contrôle, le P.S. applique souvent, sans même le reconnaître, les fameux “quotas” d'immigrés dans les H.L.M. Quotas d'ailleurs valables également pour les antillais, dont la carte d'identité française ne compense pas la couleur de peau [31].

Texte 8

Onze heures. Conférence de presse [concernant la mort d'Aziz Madak à Menton]. La foule des grands jours. J'explique l'initiative du lendemain. Surprise. Dans la salle, un homme se lève, se présente : mandaté par le P.C., il annonce que son organisation soutient SOS-Racisme dans cette entreprise et appelle, à son tour, à une minute de silence partout en France. Son intervention se faisant un peu longue, je le remercie en lui faisant remarquer que c'est une conférence de presse de SOS-Racisme et non un meeting politique [32].

Texte 9

Nous avions alors à faire face à deux types de réactions. Celle, prévisible et attendue, du Front National, avec les discours tonitruants et éructants de Le Pen, les agressions de ses supporters, et le lancement du contre-badge “touche pas à mon peuple”. et celle, plus inattendue, d'une partie de la gauche et du mouvement antiraciste lui-même. Le P.C. nous avait toujours considérés avec méfiance, voire soupçonnés d'anticommunisme ou de sionisme. D'autres dénonçaient, plus bizarrement, le caractère trop “gentil” de SOS, sur le thème “c'est un phénomène de mode”, “touche pas à mon pote, c'est angélique, ça ne règle pas les vrais problèmes”, etc. nous avons eu alors quelques articles perfides, comme celui de Sylvie Caster dans Le Canard Enchaîné, ou celui d'Ezzedine Mestiri dans La Croix, qui qualifiait notre badge de “nouveau gadget d'une gauche bon chic bon genre en mal de référence humaniste”. Rien que ça [33].

Texte 10

Les jeunes ne veulent pas être récupérés. Il m'arrive, devant certains socialistes ou communistes, qui arborent avec outrecuidance notre badge, de leur dire : “Arrêtez les frais, vous aller nous couler, la ficelle est trop grosse !” [34].

Texte 11

Le succès de notre badge nous valait bien des problèmes. De partout nous revenait que des hommes politiques  – parfois de droite, mais plus souvent de gauche  – tentaient de nous récupérer pour leur propagande. Et curieusement, ce n'était jamais ceux qui, comme Bernard Stasi, Jean-Michel Belorgey, Françoise Gaspard ou Jean-Pierre Worms, nous avaient soutenus dès le départ. [...] Je compris rapidement que nous risquions fort d'étouffer sous ces bruyantes embrassades [35].

Texte 12

Est-il exact que vous soyez directement lié au PS ?
Julien Dray – .......
Q  – Est-ce exact ?
Julien Dray – C'est un bruit qui court dans Paris.
Q  – Mais encore ?
Julien Dray – Il faut bien distinguer deux choses : la calomnie d'abord. Du genre, si ça a tant de succès, c'est qu'il y a le PS derrière, ou bien : vous avez touché cinq cents millions pour une opération préélectorale... c'est idiot ! Avons-nous montré de la complaisance pour un parti plutôt qu'un autre ? Et jugez d'après le plateau. Jean-Jacques Goldmann est-il PS ? [36].

Texte 13

Ne craignez-vous pas une tentative de “récupération” politique ? SOS roule pour la gauche oui ou non ? [ Réponse : ] Attendez ! avant toute chose, notre orientation est une orientation morale. Nos prises de position partent d'un certain nombre de principes, ni partisans ni politiques. Avec nous, il y a des gens qui s'engagent et on pense qu'a priori, ils sont sincères ; ensuite on juge sur les actes. Les tentatives de récupération, c'est une chose inévitable. On s'en est bien rendu compte durant la campagne des élections cantonales. Tout le monde a la tentation, face à un mouvement essentiellement de jeunesse, face à un mouvement d'opinion aussi large que le nôtre, de vouloir le réutiliser à des fins électorales. Il y a de notre part une attitude très ferme de refus [37].

Texte 14

Les partis politiques vous aident-ils ? [réponse] Ils ont plutôt tendance à vouloir s'aider sur notre dos, à tenter de mettre la main sur les mouvements de jeunes. Ce faisant, ils se discréditent à nos yeux. Cette attitude des partis est d'autant plus honteuse qu'aucun d'entre eux ne tient de discours cohérent sur l'immigration. Le seul discours existant sur la question est celui de l'extrême droite... [38].


2 ) La Cohabitation entre mars 1986 et mai 1988

Après les élections législatives de mars 1986 et le changement de gouvernement, la stratégie politique de l'association ne se modifie pas notablement. Les critiques que SOS adressait aux partis d'opposition sont maintenant faites au nouveau gouvernement. Mais ces critiques sont maintenant rendues plus aiguës par les projets législatifs de la nouvelle majorité et par la présence des députés du Front national à l'Assemblée. Dès le mois d'avril 1986, Harlem Désir déclare craindre une entente entre la nouvelle majorité et le Front national pour appliquer une politique « anti-immigrés » :

Les élections de mars ont bouleversé la situation. C'est une nouvelle donne qui se met en place. Il y a aujourd'hui une machine de guerre anti-immigrés qui siège à l'Assemblée nationale, une machine qui peut se réveiller d'un jour à l'autre. Il est essentiel de faire en sorte que la droite classique largue ces quelques liens avec le Front national. Surtout que l'on a assisté ces derniers jours à une étrange évolution : l'on cherche à nous présenter les députés du Front national comme des gens tout à fait bien, comme les autres [39].

La stigmatisation du Front national est toujours au principe de l'intervention de SOS-Racisme en politique. C'est parce que les responsables de SOS dénoncent dans le Front national un parti raciste et non démocratique qu'ils sont fondés à intervenir publiquement dans les luttes politiques.

Il faut montrer que le Front national n'est pas un parti comme les autres : il remet en question les principes mêmes de la démocratie. On peut toujours s'écharper entre la gauche et la droite, sur les privatisations, la télé, etc. Ça n'a jamais fait de morts. Mais sur les idées de Jean-Marie le Pen, il n'y a pas de discussion possible. Ce qu'il propose, c'est une politique d'apartheid. [...] C'est une logique de guerre civile [40].

S'appuyant sur l'affirmation d'une différence radicale entre le Front national et les autres partis, SOS tend à faire de l'attitude vis-à-vis de Jean-Marie Le Pen un clivage politique déterminant (voir textes 20 et 21). En accréditant l'idée que ce qui sépare les « républicains » « de gauche » ou « de droite » est moins important que ce qui les sépare du Front national, Harlem Désir peut attaquer les responsables de la « droite classique » qui lui paraissent envisager une alliance avec Jean-Marie Le Pen mais aussi ceux qui lui semblent suivre une politique qui aurait pour objectif de capter l'électorat du Front national [41].

Tableau 2 : Les mentions négatives à l'égard du Front national ou de Jean-
                   Marie Le Pen dans les interviews et les tribunes données par les
                   porte-parole de SOS-Racisme. [42]


Période

1985/3-1986

3-1986/5-1988

5-1998/1992

Nb de mentions du FN

4

13

16

Nb d'interviews et de tribunes

23

20

46

Pourcentage

17 %

65 %

35 %

Les dirigeants de SOS maintiennent donc jusqu'au début de 1988 la stratégie politique qu'ils suivent depuis 1985. Ils contribuent à contraindre l'ensemble des acteurs politiques à prendre position vis-à-vis de Jean-Marie Le Pen et font de la dénonciation du Front national la forme que doit prendre l'antiracisme en politique. Les critiques de SOS-Racisme semblent n'avoir que peu de prise sur le Front national qui paraît peu affecté par la stigmatisation dont il est l'objet. Les effets de l'action de SOS se font plutôt sentir sur les partis de la nouvelle majorité parlementaire. SOS-Racisme cite beaucoup plus souvent le Front national durant la cohabitation (voir tableau 2) contribuant à contraindre les membres du gouvernement et de la majorité parlementaire à prendre position vis-à-vis de Jean-Marie Le Pen. Harlem Désir est ainsi conduit à distinguer entre les « vrais républicains » qui refusent toute compromission avec le Front national, et ceux qui sont tentés par des alliances électorales.

Entre “délégitimer le Front national”, comme l'a demandé Claude Malhuret, et accrocher ses wagons à la locomotive Le Pen, comme l'a fait Pasqua, il faut choisir. En deux phrases [43], Charles Pasqua vient de “délégitimer” Barzach et Juppé, qui avaient clairement choisi de démythifier les thèmes du Front national. C'est à croire que Le Pen a décervelé nos gouvernants. [Question] Vous n'avez pas le sentiment d'un subtil partage des tâches dans le gouvernement ? [Réponse] Non, j'ai l'impression qu'il s'agit de réelles divergences. Si ce n'était pas le cas, ce serait un jeu dangereux. À faire de la surenchère avec le Front national, on n'est jamais gagnant [44].

Harlem Désir approuve les hommes politiques de la majorité parlementaire qui critiquent le Front national. Michel Hannoun, Michel Noir, Alain Juppé, Bernard Stasi ou Simone Veil sont félicités pour leur attitude « courageuse » (voir aussi textes 22 et 23). En indiquant qu'il y a de réelles divergences de morale politique et de stratégie électorale au sein de la majorité parlementaire, Harlem Désir refuse de condamner globalement des partis « de droite », donnant ainsi plus de crédit à sa critique des « durs » du gouvernement. C'est donc paradoxalement durant la cohabitation que SOS cite positivement le plus souvent des membres de partis « de droite » (voir tableau 3).

Il y a une ambiguïté dans la classe politique vis-à-vis de SOS-Racisme, et ce depuis sa création. Quelques personnes, à droite, ont le courage d'avancer des idées audacieuses et concrètes, comme Michel Hannoun, Bernard Stasi ou Michel Noir, et leurs rapports atterrissent dans les tiroirs, alors que les lignes de force qui se dessinent, ce sont les concessions à l'extrême droite. Voyez l'étonnant come back de la réforme du code de la nationalité sous la forme d'un référendum qui ressemble comme un jumeau au référendum sur l'immigration réclamé par le Front national [45].

Tableau 3 : Les mentions positives à l'égard de personnalités classées
                   « à droite » dans les interviews et les tribunes données par
                   les porte-parole de SOS-Racisme.


Période

1985/3-1986

3-1986/5-1988

5-1998/1992

Nb de mentions positives envers des personnalités classées à droite

2

4

3

Nb d'interviews et de tribunes

23

20

46

Pourcentage

9 %

20 %

7 %

Fréquence (une intervention de SOS tous les n jours)

17

39

37

Les principales cibles des attaques d'Harlem Désir sont Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur et Robert Pandreau, ministre délégué à la police, qui traitent les dossiers relatifs à l'immigration et à la « sécurité ».

Comment peut-on avoir confiance dans ce gouvernement ? Il ne faut pas oublier que Chalandon a pour collègues Pasqua et Pandraud. Nous, on ne refuse pas de discuter, mais si Chalandon veut qu'on le croie, il faut d'abord qu'il retire le projet [de réforme du code de la nationalité] [46].

Les responsables de SOS-Racisme accusent Jacques Chirac et Charles Pasqua de mener une politique discriminatoire à l'égard des immigrés pour donner des gages à l'électorat du Front national et favoriser l'élection de Jacques Chirac en 1988, (voir textes 23, 24, 25 26 et 27). Le discours que tiennent les porte-parole de SOS tendent à donner de Charles Pasqua, mais aussi de Jacques Chirac, une image répressive et à jeter un doute sur le caractère « républicain » de leur action en matière de « sécurité » et d'immigration. Tout se passe comme si les responsables de la majorité se voyaient acculés à un embarrassant dilemme : soit condamner publiquement le Front national en risquant un mauvais report des voix de ses électeurs au second tour des élections, soit le ménager et mettre en œuvre une politique plus énergique en matière de « sécurité » et d'immigration en risquant d'acquérir une image répressive pouvant effrayer les électeurs qu'une politique trop coercitive répugne.

Tableau 4 : Les mentions négatives à l'égard de personnalités classées
                   « à droite » dans les interviews et les tribunes données par
                   les porte-parole de SOS-Racisme.


Période

1985/3-1986

3-1986/5-1988

5-1998/1992

Nb de mentions négatives envers des personnalités classées à droite

2

14

9

Nb d'interviews et de tribunes

23

20

46

Pourcentage

9 %

70 %

20 %

À partir de 1987, SOS-Racisme critique aussi le bilan du gouvernement et pas seulement sa position vis-à-vis de Jean-Marie Le Pen. Les attaques de SOS contre Pasqua et le gouvernement « de droite » sont très dures : entre mai 1986 et mai 1988 toutes les interviews données par Harlem Désir ou Julien Dray critiquent la politique du gouvernement ou la compromission de la « droite républicaine » avec le Front national. La plupart des actions menées entre 1986 et 1988 par SOS ont été dirigées contre le gouvernement de Jacques Chirac : la campagne contre les bavures en juillet et en août 1986, le mouvement étudiant en novembre 1986 et les manifestations protestant contre la mort de Malik Oussekine, le mouvement contre le code de la nationalité en 1987, la campagne du « charter des 101 maliens » contre les expulsions d'immigrés. C'est durant la cohabitation qu'Harlem Désir critiquera le plus souvent des personnalités politiques classées « à droite » (voir tableau 4). À deux mois des élections présidentielles SOS-Racisme s'engage directement contre le candidat à l'élection présidentielle issu du gouvernement :

Quelles sont les forces politiques qui se rapprochent de votre choix de société...? [ réponse : ] Certaines en tout cas s'en éloignent. On n'y arrivera pas avec ceux qui refusent de donner la priorité à l'éducation, ceux qui ne sont même pas capables de dire franchement leur refus de prendre des membres du Front national dans leur gouvernement. Avec tous ceux qui n'apportent pas de réponses claires aux exigences de la jeunesse. À quelques semaines des élections présidentielles, ce genre de déclaration ressemble quasiment à une consigne de vote ? [ réponse : ] Ce n'est pas à SOS de le faire. [...] Nous disons simplement qu'au regard de nos valeurs, tous les choix politiques ne se valent pas [47].

Cependant, la diabolisation de Charles Pasqua et de Robert Pandreau est rendue possible par le programme législatif du gouvernement. Les lois ou les projets de loi concernant l'immigration, les expulsions spectaculaires d'étrangers, les contrôles d'identité et le code de la nationalité (voir texte 28) pouvaient difficilement ne pas faire réagir SOS, comme l'ensemble des organisations antiracistes. SOS n'a souvent fait que saisir les occasions que lui offrait le gouvernement. Si Harlem Désir peut critiquer la politique du gouvernement, c'est aussi parce qu'il rencontre la volonté de Jacques Chirac et de Charles Pasqua de ne pas laisser à Jean-Marie Le Pen le monopole de la dénonciation de l'insécurité et de l'immigration, mais également la stratégie du Front national qui recherche des alliances avec « le reste de la droite » [48].

Entre 1986 et 1988, SOS s'efforce encore d'apparaître comme une organisation non politique qui se défie des partis (voir texte 15) ou comme une association voulant dialoguer avec l'ensemble des forces politiques (voir textes 18, 19 et 20). Pourtant, les dirigeants de l'association ont de plus en plus de mal à maintenir une façade de stricte neutralité politique, en partie parce que leurs attaques contre le gouvernement conduisent certains partisans de celui-ci à tenter de les faire apparaître comme dominés par les intérêts électoraux du Parti socialiste et non pas seulement attachés à la défense de l'antiracisme [49]. Le passé militant de Julien Dray, de Didier François et de plusieurs des membres fondateurs était connu depuis 1985, mais jusqu'en 1987, celui du président de SOS n'était pas mis en cause. Harlem Désir nie d'ailleurs, lors de « l'Heure de Vérité » en août 1987, avoir exercé des responsabilités au Mouvement des Jeunesses socialistes (voir textes 16 et 17). Pourtant, malgré l'image de plus en plus « marquée à gauche » des dirigeants de SOS, il continue d'affirmer le caractère non partisan de l'action de SOS (voir aussi textes 19 et 20) :

Acceptez vous d'être classé à gauche ? [ réponse : ] En tant qu'animateur de SOS-Racisme, certainement pas ! En revanche comme citoyen, je n'ai jamais caché que j'étais de gauche. Mais je demande à être jugé sur mes résultats. Pas sur un bulletin de vote [50].

Harlem Désir semble concevoir SOS à l'image des administrations d'Etat, composées de fonctionnaires de toutes opinions, mais censées être politiquement neutres. Cependant, pendant la période de la cohabitation, SOS-Racisme n'attaque jamais « la gauche » ou le Parti socialiste qui, n'étant plus aux affaires, peut difficilement se mettre en position d'être critiqué. Le Président de la République et la politique menée par ses premiers ministres successifs, ne sont jamais remis en cause. Harlem Désir ne commencera d'ailleurs à attaquer la politique d'intégration des populations immigrées ou « issues de l'immigration » du gouvernement de Jacques Chirac qu'à partir d'août 1987 lors des interviews précédant son « Heure de Vérité ». Cette transformation de l'analyse que fait SOS des causes du racisme et des solutions qui doivent y être apportées va permettre aux dirigeants de l'association de critiquer les politiques sociales de tous les gouvernements qui se succéderont entre 1987 et 1993.


Texte 15

Comment juger vous la classe politique ? [ réponse : ] Sévèrement. Son principal centre d'intérêt c'est elle-même. Je me refuse à faire du poujadisme. Pourtant comment ne pas constater tout de même que, si l'ère de la démagogie et des promesses est révolue, le règne du look et de l'absence de projet lui a succédé ? Voyez la campagne présidentielle : il n'est plus question comme aux Etats-Unis, que “d'affaires” et de questions de personnes ! Où sont les débats de société ? [51].

Texte 16

Pourquoi, à “L'Heure de Vérité”, n'avoir pas dit que vous aviez fait partie, naguère, des Jeunesses socialistes ? [ réponse : ] Sur ce point j'ai été sommaire. J'ai été effectivement, pendant quelques temps, animateur des Jeunesses socialistes à l'université de Créteil. [52].

Texte 17

[ Harlem Désir ] reconnaît qu'il a été un peu sommaire le soir où on l'a questionné à la télévision sur sa virginité politique : “J'aurais dû dire que j'avais été sympathisant d'extrême gauche et que j'avais adhéré aux Jeunesses socialistes. J'étais très jeune. J'avais un idéal. J'avais envie de changer le monde très vite. Les médiations n'étaient pas alors mon fort”. Depuis qu'il s'est écarté des brigades du P.S. on a souvent essayé de le récupérer [53].

Texte 18

Il y a des gens qui sont à SOS et qui sont par ailleurs des militants politiques. C'est leur droit, il faut tout simplement qu'ils ne mélangent pas les deux. C'est bien ainsi qu'ils le comprennent. À partir de là, ce n'est pas moi qui leur reprocherai de se battre au sein de leur parti pour faire passer les idées de SOS-Racisme ! [54].

Texte 19

À l'instar de Philippe Séguin, beaucoup vous reprochent d'avoir tenté de faire du combat antiraciste un monopole de la gauche... [ réponse : ] Je trouve ça un peu fort de café (au lait) ! Personne n'a fait plus d'efforts que nous pour rassembler droite et gauche dans le combat antiraciste. Nos portes sont toujours restées ouvertes. Il est évident qu'on ne peut se passer de la moitié du pays. Heureusement, j'ai l'impression que le ministre des Affaires sociales revient à une plus juste vision des choses... [55]. Texte 20

Diriez-vous qu'entre Le Pen et vous il n'y a rien ? [ réponse : ] Oui. Mais à condition de bien comprendre que ce “nous”, cela signifie tous les gens raisonnables, tous les républicains, de gauche comme de droite. J'en suis convaincu : contre le racisme et pour l'intégration, les chances d'un consensus national existent désormais [56].

Texte 21

D'un côté vous avez les républicains : il y en a qui sont de droite, d'autres de gauche, ils ne sont pas d'accord sur un tas de choses, mais ils reconnaissent tous que les hommes sont égaux en dignité et qu'ils doivent être égaux en droits. De l'autre, vous avez une idéologie incompatible avec celle de la République. Et si la droite républicaine s'allie avec l'extrême droite, je fais le pari qu'elle perdra son électorat [57].

Texte 22

Il y a, à gauche, des gens qui sont formidables  – Françoise Garpard par exemple  – , il y a, à droite, des gens formidables  – Michel Noir, Bernard Stasi, Simone Veil, etc.  – et sur certains sujets, le racisme par exemple, on peut faire des choses ensemble [58].

Texte 23

Il y a un déséquilibre dans nos rapports avec le monde politique depuis l'été 1986, parce que le gouvernement, à cette époque-là a choisi de mener une politique anti-immigrés pour essayer de récupérer l'électorat du Front national. Cela ne nous empêche pas de conserver des contacts avec un certain nombre de gens, qu'il s'agisse de centristes ou de RPR, qui ont notre vision des choses mais qui possèdent désormais une moins grande marge de manœuvre, y compris pour s'afficher avec nous [59].

Texte 24

Il y a bel et bien virage dans l'attitude du pouvoir. Cela a commencé pendant l'été 1986 avec la volonté de couvrir les bavures et le vote de la loi sur les expulsions. En apparence, la droite condamnait l'extrême droite, mais en réalité, cherchait à capter son électorat. L'aboutissement de cette politique, c'est le charter pour le Mali. Alors la jeunesse s'est mobilisée contre le projet Devaquet et la réforme du Code de la nationalité. Le pouvoir a reculé, un équilibre s'est établi. Depuis, il est rompu. Devaquet, qui est au demeurant un homme sympathique, a été réhabilité, les propositions Valade vont dans le même sens et on tente de nous resservir une réforme du Code de la nationalité [60].

Texte 25

Il y a un grand risque de voir toute la campagne présidentielle polarisée par Le Pen. Tout se passe comme si on ne se déterminait plus que par rapport à lui. Jugez plutôt. [...] Mercredi, Le Pen parle à l'Heure de Vérité, et jeudi on ressort le projet de Code de la nationalité du tiroir. Dimanche, Le Pen défile devant le portrait de Pétain à la fête de Jeanne d'Arc et, lundi, Pasqua affrète des trains. Visiblement, le virus lepenique se répand rapidement. On est en train de dépasser les limites de la décence démocratique. Les partis de la majorité doivent-ils comme Gaudin, se laisser contaminer ou sauront-ils sauver leur âme et l'honneur de la démocratie en refusant la démagogie des fantasmes et de la haine ? [61].

Texte 26

[...] Si chaque fois que le leader du Front national prend la parole, on commence à s'agiter et à ressortir du tiroir les réformes discriminatoires, alors là, on part perdant. Quand Le Pen passe à L'Heure de Vérité et que le lendemain Jacques Chirac ressort la réforme du Code de la nationalité, alors que ça fait trois mois qu'elle est enterrée, on donne le sentiment que c'est le Front national qui dicte sa loi [62].

Texte 27

À qui Charles Pasqua peut-il faire croire que sa détermination est de lutter contre le racisme [...] ? Son message n'a qu'un destinataire, l'électorat du Front national, à qui il dit : “Ce n'est pas la peine de voter Le Pen puisque moi je suis capable de faire le travail” [63].

Texte 28

Comment réagissez-vous lorsque le premier ministre propose de modifier le Code de la nationalité ? [Réponse :] Cette mesure a un côté paradoxal. Jusqu'à présent, il y avait un processus naturel d'intégration qui faisait qu'à la deuxième génération, on n'était plus tout à fait un immigré et qu'à la troisième on avait même oublié l'origine immigrée de la famille. Désormais tous les enfants d'immigrés qui ne choisiront pas de devenir français iront augmenter le nombre des étrangers, au lieu de le diminuer comme le souhaite la droite » [64].

Texte 29

Votre gouvernement, en quelques mois, a réussi l'exploit de creuser un énorme fossé entre le monde de la jeunesse et celui du pouvoir. Plutôt que de crier sans cesse à la récupération politique, il vaudrait mieux vous demander pourquoi vous n'êtes pas présents aux côtés des jeunes quand ils se battent contre le racisme et les discours odieux de l'extrême droite qui les prend pour cible [65].

Texte 30

Les jeunes ne peuvent comprendre la volonté du gouvernement de séparer le bon grain de l'ivraie. (...) À travers ce projet de Code, on s'attaque aux enfants de la deuxième génération et on risque ainsi de perpétuer la marginalisation et le rejet que connaissent les communautés immigrées [66].

Texte 31

Deux choix clairs s'offrent à nous, la démocratie de l'exclusion ou la démocratie de l'intégration. La première, nous la connaissons, c'est celle des bavures policières, des attentats racistes, de l'exclusion, des expulsions et du saccage de la vie sociale pour des millions de gens. Nous n'en voulons pas [67].

Texte 32

Je suis frappé par la résurgence dans le discours politique français d'un vocabulaire aux réminiscences douteuses. Les “sidaïques” et “sidatoriums”, les “hyènes puantes” de Le Pen, les “trains” de Pasqua, on sait bien quelles fibres ces termes font vibrer » [68].


3 ) Le gouvernement de Michel Rocard après mai 1988

Le positionnement politique de SOS va totalement changer après mai 1988. Après avoir critiqué pendant deux ans le gouvernement de Jacques Chirac, Harlem Désir se félicite de la réélection de François Mitterrand et tend à s'associer à la gauche :

La victoire de François Mitterrand, c'est une victoire pour SOS-Racisme ? [Réponse :] Une page est enfin tournée après deux années de gâchis. C'est une victoire pour les valeurs d'égalité. C'est une sanction contre une politique qui depuis deux ans était perçue comme une politique d'exclusion, d'égoïsme, d'autoritarisme empreint de xénophobie. Il est très important qu'une large majorité ait fait la démonstration que la France n'est pas prête à se laisser gouverner du côté de la bêtise et de la force brutale [69].

Toutefois, après 1988, l'association peut difficilement continuer à axer l'ensemble de son discours sur la seule dénonciation de Jean-Marie Le Pen, alors que la disparition du groupe parlementaire frontiste, l'éloignement des prochaines élections générales et l'échec relatif du Front national lors des élections municipales de 1989 (en partie dû à l'interdiction par le R.P.R. et l'U.D.F. de toutes alliances locales) tendent à réduire la visibilité du Front national. Charles Pasqua et Jacques Chirac étant dans l'opposition, il est également difficile pour les porte-parole de SOS de poursuivre la critique de l'action ou des propositions électorales des partis « de droite ».
    De plus, les prises de position de SOS contre le Front national et les partis « de droite » entre 1985 et 1988 n'avaient pu avoir une certaine efficacité que parce que l'association avait établi une image de neutralité politique et qu'elle n'était pas « marquée à gauche » ; après la participation directe de Julien Dray et d'Harlem Désir aux meetings du candidat François Mitterrand, l'image de neutralité politique de l'association se détériore.
    Enfin, les prises de position d'Harlem Désir à partir de l'Heure de Vérité sur les insuffisances de la politique du gouvernement de Jacques Chirac à l'égard des banlieues obligeaient en partie l'association, pour des raisons de cohérence interne et de crédibilité vis-à-vis des journalistes et des autres associations du secteur de l'immigration à poursuivre son évaluation publique de la politique gouvernementale en matière d'immigration.
    SOS-Racisme va donc modifier son discours en profondeur pour faire du gouvernement socialiste la principale cible de ses déclarations politiques. L'absence de Julien Dray du nouveau gouvernement rend probablement plus facile la critique de l'action de Michel Rocard .

    

a) L'art de critiquer ses propres soutiens politiques (le gouvernement socialiste)

Dès le mois de juin 1988, Harlem Désir fixe le programme du gouvernement, il est chargé :

Qu'attendez vous du nouveau gouvernement ? [ Réponse : ] Il faut très rapidement apporter des réponses aux problèmes qui se sont traduits dans le vote du premier tour par le score du Front national. Cela signifie qu'il faut engager une véritable action de lutte contre la marginalisation sociale. [...] Dans le domaine de l'action sociale, les priorités sont les suivantes : l'amélioration du logement, de la scolarisation des enfants étrangers, et des autres. Je crois aussi à la nécessité d'une réforme rapide en matière de naturalisation ; elle posera le problème de la citoyenneté, du droit de vote aux élections locales [70].

Au mois de novembre 1988, quelques mois seulement après l'arrivée de Michel Rocard à l'Hôtel Matignon, Harlem Désir commence à dresser un bilan négatif de l'action du gouvernement :

Je dois bien constater que l'intégration est en panne. Si les menaces les plus graves qui ont pesé sur l'immigration de 1986 à 1988 ont cessé, à commencer par la réforme du Code de la nationalité, les problèmes n'ont pas, pour autant, été résolus. La lutte contre le racisme se satisfait mal du sur-place du gouvernement. Ainsi les expulsions d'étrangers continuent à s'effectuer sous le régime de la loi Pasqua, cadre législatif répressif s'il en est. [...] Pourtant, la lutte contre le racisme ne peut se contenter de la dénonciation ou de l'appel à la morale. Elle doit passer par une politique sociale d'intégration des communautés étrangères. Or, de ce point de vue, force est de constater qu'on ne voit rien venir [71].

Les reproches que SOS fait au gouvernement de Michel Rocard sont les mêmes que ceux qu'il adressait au gouvernement de Jacques Chirac. Mais le point de désaccord principal entre le gouvernement et SOS-Racisme concerne les « lois Pasqua » qui avaient été très sévèrement critiquées par l'association et le Parti socialiste lorsque l'Assemblée les avait votées, et contre lesquelles SOS et l'ensemble des associations antiracistes avaient manifesté le 31 octobre 1986 :

Rien n'a changé depuis six mois pour les immigrés. Leur statut est toujours régi par la loi Pasqua, loi que les socialistes avaient pourtant qualifiée de loi inique. À la brutalité et au mépris d'hier ont succédé un silence gêné ou une condescendance technocratique. Pour toute réponse à nos questions ou à nos propositions, le gouvernement s'est contenté de répéter : “il faut attendre... Plus tard...” L'immigration est devenue un sujet tabou passé par pertes et profits de je ne sais quel consensus [72].

La modification de la loi Pasqua est différée parce que le ministre de l'intérieur Pierre Joxe et la hiérarchie policière s'opposent vigoureusement à tout retour au régime antérieur. Pourtant SOS-Racisme peut difficilement accepter l'inertie gouvernementale concernant une des lois qu'il a le plus souvent dénoncée. L'abrogation ou l'amendement de la loi Pasqua est pour SOS-Racisme et les autres associations antiracistes le minimum qu'elles estiment pouvoir exiger du nouveau gouvernement. Il faudra pourtant plusieurs mois de mobilisation de l'ensemble des associations réunies dans un « collectif de coordination » [73] et l'intervention personnelle de François Mitterrand lors de ses vœux le 31 décembre 1988, pour qu'un projet de réforme soit présenté, immédiatement jugé insuffisant par Harlem Désir (voir texte 34) [74]. Lorsque les dispositions les plus contestées de la loi Pasqua seront supprimées, SOS ne créditera pas Michel Rocard et Pierre Joxe de ce qu'il considère comme une avancée mais déclarera que le gouvernement n'aurait probablement rien fait si les associations antiracistes et François Mitterrand n'avaient pas fait pression en ce sens (voir texte 35).
    Le gouvernement socialiste est donc sévèrement attaqué. On lui reproche de ne pas différencier sa politique en matière de droits de l'homme de celle du gouvernement précédant contre laquelle SOS avait manifesté (voir aussi texte 36) :

Pendant deux ans, entre 1986 et 1988, toute une génération s'est battue contre l'exclusion et le racisme. Cette génération ne peut accepter que la gauche et la droite, au pouvoir, ce soit la même chose sur de tels sujets [75].

Mais les principales attaques de SOS contre le gouvernement concernent la politique sociale et urbaine. Michel Rocard est accusé d'immobilisme, et on lui reproche de ne pas prendre la mesure des problèmes qui se posent en banlieue. Puisque, selon SOS, le racisme est engendré par les mauvaises conditions de vie dans les banlieues, son traitement est de la compétence du gouvernement.

Est-ce-que vous reprochez au gouvernement de n'avoir rien fait pour faire reculer le racisme ? [ Réponse : ] Il existe des raisons objectives au racisme. Ce sont les conditions de vie et de logement, les problèmes dans les quartiers, les questions de sécurité et d'éducation. C'est au gouvernement de les régler. Nous, nous avons joué notre rôle d'accompagnement culturel de la lutte contre le racisme. Mais ce n'est pas suffisant. La vraie politique consiste à donner des moyens pour que ces quartiers changent. Or sur ce plan, il y a un vide [76].

Entre 1989 et 1993, SOS va inlassablement dénoncer ce qu'il considère comme l'absence de politique des gouvernements socialistes dans les banlieues. L'association leur reproche de ne pas consacrer assez de moyens à la politique de la ville, à la rénovation urbaine, à l'amélioration des transports et à la lutte contre l'échec scolaire. Les responsables de SOS souhaiteraient que la situation des populations immigrées et françaises en banlieue soit considérée comme une cause prioritaire, devant entraîner un effort budgétaire important.

Depuis dix-huit mois, SOS est pendu au signal d'alarme. Nous disons sur tous les tons que la situation s'aggrave, que les tensions augmentent. [...] On crée un comité interministériel, on nomme un haut fonctionnaire sans pouvoir ni crédits, et on se défausse de ses responsabilités sur un nouveau comité des sages. Refuser la création d'un ministère de l'Intégration, c'est refuser de prendre en charge politiquement le dossier. [ Question : ] Le gouvernement répond qu'il ne veut pas traiter les immigrés à part, qu'il inclut la question de l'immigration dans une politique sociale d'ensemble... [ Réponse : ] Du coup, il n'y a pas de politique [77].

Toutes les interviews qu'Harlem Désir donne entre 1989 et 1992 critiquent la politique du gouvernement vis-à-vis des banlieues et des populations « issues de l'immigration » (voir textes 37, 38, 39, 40, 42, 43, 44 et 45). SOS déclare craindre que ne se développe en France une situation « à l'américaine » avec des pauvres marginalisés habitant dans des quartiers dégradés où règneraient le chômage, la drogue et l'insécurité (voir textes 38 et 41). Le thème de la politique urbaine s'est imposé progressivement dans le discours de SOS mais il devient dominant après 1988 (voir tableau 5). SOS demande donc au gouvernement une politique de la ville qui permette de lutter contre ce que l'association perçoit comme une tendance à la ghettoïsation et à la ségrégation des populations d'origine immigrée dans les banlieues les plus reculées et dans les logements les plus dégradés.

Tableau 5 : Les références à la « politique de la ville » dans les interviews et
                   les tribunes données par les porte-parole de SOS-Racisme.

Année

1985-1986

3-1986/8-1987

8-1987/5-1988

5-1998/1992

Nb de références à la politique de la ville

0

1

3

27

Nb d'interviews et de tribunes

23

9

11

46

Pourcentage

0 %

11 %

27 %

59 %

Le programme d'investissement dans les banlieues que SOS propose au gouvernement est coûteux et contraignant. Les résultats d'une telle politique sont incertains et ne pourront être évalués qu'à moyen ou à long terme. Il est rare qu'une association demande au gouvernement l'adoption d'une série de mesures aussi ambitieuses et engageant autant de ressources. Les responsables de SOS pensent-ils vraiment que les critiques qu'ils adressent au gouvernement peuvent induire l'adoption de la politique de la ville qu'ils préconisaient ? Ou bien placent-ils le gouvernement de gauche en position d'être critiqué « sur sa gauche » pour sa politique sociale ?

Après quelques années d'opposition entre SOS et les gouvernements socialistes, Harlem Désir tient un discours très critique envers la gauche et le Parti socialiste :

La gauche au pouvoir en 1981, c'était aussi l'espoir de faire reculer le racisme. Dix ans après, dur constat non ? [ Réponse : ] Il est évident que si l'on regarde dans quel état se trouve aujourd'hui la société française, confrontée au racisme, à des discriminations banalisées, à la violence, aux difficultés d'intégration des immigrés, il faut bien reconnaître que ce n'est pas un domaine où la gauche a eu beaucoup de succès. [...] Et ce qui s'est passé dernièrement à Sartrouville ou dans d'autres banlieues confirme que la situation sociale et urbaine s'est dégradée [78].

Après son départ de SOS-Racisme, Harlem Désir dresse un bilan sévère de l'action gouvernementale du Parti socialiste qui est aussi celle de François Mitterrand. S'il ne regrette pas d'avoir fait campagne pour sa réélection, il s'affirme déçu par le faible bilan du second septennat :

Le constat est là : le bilan social, moral, et politique de la gauche est catastrophique. Le PS a trahi l'espérance placée en lui, ainsi que nombre de ses engagements, en particulier à l'égard de la jeunesse. Pour ce qui est de 1988, j'ai fait un choix qui me semble un peu abstrait de remettre en cause aujourd'hui en oubliant le contexte. On ne peut pas dire que le retour de la droite au pouvoir entre 1986 et 1988 ait représenté une cure de jouvence pour les valeurs que nous défendons. Il y avait eu la loi Pasqua, ses déclarations sur le thème “Je partage les valeurs du FN” la réforme du Code de la nationalité. Pour moi, on ne pouvait pas renvoyer dos à dos Chirac et Mitterrand. Pour moi, on a voté pour Mitterrand parce qu'on pensait qu'il resterait à l'écoute de ce que l'on représentait. On comptait sur la gauche pour relayer nos aspirations sur le plan gouvernemental [ Question : ] Sept ans après l'arrivée de la gauche au pouvoir, vous y comptiez toujours ? [ Réponse : ] Si vous voulez dire que nous nous sommes trompés, je ne suis pas d'accord : ce n'est pas nous qui nous sommes trompés, c'est la gauche qui s'est trompée. Les socialistes n'ont pas été capables de s'appuyer sur les forces vives qui les avaient portés au pouvoir en 1988 [79].

Même l'action de François Mitterrand, longtemps épargnée, n'est plus à l'abri des reproches (voir textes 42, 48 et 56). L'essentiel des critiques est toujours adressé au gouvernement de Michel Rocard puis à ceux de ses successeurs, mais l'ensemble du bilan de François Mitterrand et du Parti socialiste est mis en cause. Alors qu'avant 1988, SOS ne mettait que rarement en cause l'action ou les déclarations de personnalités « de gauche », 65 % des prises de positions publiques de l'association après 1988 comportent une critique du personnel politique « de gauche » (voir tableau 6).

Tableau 6 : Les mentions négatives à l'égard de personnalités classées
                   « à gauche » dans les interviews et les tribunes données par
                   les porte-parole de SOS-Racisme.


Période

1985/3-1986

3-1986/5-1988

5-1998/1992

Nb de mentions négatives envers des personnalités classées à gauche

1

1

30

Nb d'interviews et de tribunes

23

20

46

Pourcentage

4 %

5 %

65 %

Parallèlement, Harlem Désir critique moins les partis politiques de l'opposition depuis qu'ils n'ont plus de responsabilités gouvernementales (voir cependant les textes 43, 50 et 51 où SOS continue de stigmatiser le FN et Charles Pasqua). Même le Front national tend à disparaître du discours de SOS-Racisme après les municipales de 1989 qui semblent marquer un recul de l'influence électorale de Jean-Marie Le Pen [80].

    

b) L'art de ne pas apparaître socialiste

Après l'intervention de SOS dans la campagne des présidentielles de 1988 et l'élection de Julien Dray à l'Assemblée nationale, l'identification de l'association au Parti socialiste est forte et il est difficile à SOS de maintenir l'image de neutralité politique qu'elle avait défendue depuis 1985 :

On vous critique beaucoup sur vos rapports avec le PS ? [ Réponse : ] La nature d'un mouvement de lutte pour les droits civils, c'est évidemment de dialoguer avec les institutions politiques. Un dialogue qui peut aller de l'affrontement à un bout de chemin ensemble, mais en restant indépendant. Et c'est ce qu'on fait à SOS. [question] Cette année est-elle l'occasion de se débarrasser définitivement de l'image de machine politique du PS ? [ Réponse : ] Notre vocation n'est pas de servir un gouvernement, enfin ! Avant 1986, le PS était au pouvoir, ça ne nous empêchait pas de dire des choses. Moi, je n'ai pas de problème avec ça. Il est évident que je préfère ce gouvernement parce qu'on a plus de chances d'être entendus. À lui de faire la preuve qu'il nous entend [81].

Cette image indésirable contraint les responsables de SOS-Racisme à un effort de démarquage vis-à-vis du Parti socialiste. Harlem Désir conteste tout d'abord que SOS ait soutenu la campagne de François Mitterrand parce que ses dirigeants étaient proches du PS mais affirme que c'est la politique du gouvernement de Jacques Chirac qui les a contraint à prendre parti (voir texte 33) [82]. Pourtant, malgré les nombreuses attaques lancées contre le gouvernement de Michel Rocard, l'association aura beaucoup de mal à établir la preuve de son indépendance vis-à-vis du PS. Seules ses prises de position durant la Guerre du Golfe (voir textes 44 et 56) parviendront à entamer quelque peu son image d'association « proche du Parti socialiste ». SOS n'en tirera que peu de bénéfices puisqu'il ne changera que le contenu des critiques qui lui sont adressées.
    La volonté des responsables de SOS de se démarquer du Parti socialiste sera également concrétisée par le rapprochement avec d'autres forces politiques. Il était difficile pour Harlem Désir, après la période de la cohabitation durant laquelle SOS s'était montré très actif contre le gouvernement (voir texte 33), de renouer des liens avec les responsables du R.P.R. ou de l'U.D.F., même avec ceux qui avaient parrainé certaines initiatives de l'association. Alors qu'entre 1985 et 1986 les responsables de SOS pouvaient afficher le soutien de personnalités appartenant à l'ensemble des partis politiques, à partir de 1988 l'association ne souhaite pas être associée au PS et ne peut plus obtenir la coopération de responsables des partis d'opposition. SOS devra donc se tourner vers des partis moins institutionnalisés pour essayer de modifier son image. Harlem Désir va amorcer un rapprochement public avec les Verts qui cherchent à imposer un positionnement « en dehors du clivage droite-gauche » et qui disposent d'une image de mouvement politique plutôt « moderne » et « novateur » : Antoine Waechter sera invité lors du Congrès de Longjumeau en avril 1990 (voir texte 52 et 47) et des militants des Verts participeront aux comités de Maintenant la Paix créés pour participer aux mobilisations contre l'engagement de la France dans la Guerre du Golfe.
    Le nouveau discours anti-socialiste de SOS va aussi lui permettre d'accroître sa capacité à participer à des mouvements unitaires. Entre 1985 et 1989, l'association était critiquée à la fois par les mouvements beurs, les associations liées au Parti Communiste et par la plupart des organisations d'extrême gauche (à l'exception de la LCR) ; à partir de 1990, le changement d'attitude à l'égard du Parti socialiste va permettre à SOS d'organiser des manifestations rassemblant de nombreuses organisations antiracistes, syndicales et politiques. La manifestation du 25 janvier 1992 dont SOS est l'initiateur rassemble, outre les principales associations antiracistes et le Comité contre la Double Peine, l'ensemble des organisations et des partis « de gauche », du PC au PS, de la FEN. à la CGT, soit environ 200 « signatures » d'organisations. Cette manifestation donne à SOS-Racisme une nouvelle occasion de manifester publiquement sa prise de distance envers le Parti socialiste et le gouvernement pour les critiquer « sur leur gauche » :

Après avoir longtemps hésité, les socialistes s'y associent [il s'agit de la manifestation du 25 janvier 1992]. Tant mieux. Mais pour combattre le FN, il faut commencer par ne pas céder sur les valeurs, aussi bien dans les discours que dans la pratique gouvernementale. Quand on parle de charters, quand on présente à l'Assemblée le projet de loi Marchand, quand on enterre le droit de vote des immigrés non communautaires, quand on n'investit pas massivement dans la lutte contre la ségrégation urbaine, quand on en reste au traitement social du chômage avec des formules de stage qui ont échoué, je ne suis pas sûr qu'on se donne tous les moyens pour faire reculer le FN. Il ne suffit pas de diaboliser Le Pen. Encore faut-il se donner les moyens de traiter socialement et politiquement le problème en redonnant à l'Etat son rôle de garant des droits des citoyens et en redonnant un projet collectif à la société [83].

À partir de novembre 1988, le discours de SOS-Racisme est donc tout à fait différent de ce qu'il était en 1985. L'association est devenue un opposant de gauche au gouvernement socialiste et ses prises de position se rapprochent de celles du Parti communiste. Le journal l'Humanité augmente d'ailleurs sensiblement le nombre des articles qu'il consacre à SOS à partir de 1990. Les prises de position de SOS-Racisme tendent à se rapprocher du discours que tient la Gauche socialiste au sein du Parti socialiste. L'association est alors bien loin de l'apolitisme que les fondateurs assuraient vouloir maintenir.
    À la différence des autres associations antiracistes, SOS privilégie les interventions publiques et les actions d'opinion en direction du public et des médias. Ce mode d'intervention publique conduit l'association à se poser en « interlocuteur de l'ensemble de la classe politique » (voir texte 33) et à vouloir « dialoguer avec les institutions politiques » (voir infra, texte de la note 87 ) : ce mode d'action conduit l'association à s'adresser principalement au personnel politique qui participe au gouvernement et généralement à critiquer son action. À partir de 1986, SOS se place systématiquement en position d'opposant. C'est ce qui explique en partie qu'après 1988 le Front national et les partis de l'ancienne majorité passent au second plan dans les discours de l'association qui critique surtout le gouvernement de Michel Rocard.
    Les critiques que Harlem Désir adresse aux gouvernements socialistes sont très sévères : ils sont accusés d'avoir « cédé sur les valeurs », en abandonnant les propositions les plus progressistes comme le droit de vote aux élections locales pour les immigrés, en imitant la politique répressive de Charles Pasqua et en ne proposant pas de réelle politique urbaine. Harlem Désir leur reproche finalement de mener une politique qui se rapproche beaucoup de celle que pourrait conduire un gouvernement « de droite ». SOS-Racisme est alors victime d'une image publique paradoxale : toutes les déclarations d'Harlem Désir critiquent l'action du gouvernement de Michel Rocard tandis que l'association est associée au Parti socialiste pour avoir soutenu François Mitterrand durant la campagne présidentielle de 1988.

Texte 33

Quels sont les liens exacts entre SOS-Racisme et le PS, et plus généralement avec la gauche? [ Réponse : ] On a voulu faire du mouvement un interlocuteur de l'ensemble de la classe politique. Mais c'est vrai qu'après les élections de mars 86, la réforme du Code de la nationalité, la loi Pasqua sur les expulsions, les concessions et les alliances avec l'extrême droite ont d'une certaine façon poussé l'antiracisme dans l'opposition, même si le contact n'a jamais été perdu avec des gens comme Simone Veil, Michel Noir ou Bernard Stasi. Cela dit, après le retour de la gauche au pouvoir, lorsqu'on a constaté que le chantier de l'intégration était resté en rade nous avons su montrer notre indépendance. Pour obtenir l'abrogation de la loi Pasqua, il a fallu monter le ton, et engager une campagne publique, ce qui n'a pas forcément plu au gouvernement et au Parti socialiste [84].

Texte 34

Comment interprétez-vous l'avant-projet de loi qui a été remis jeudi soir à SOS-Racisme ? [ Réponse : ] C'est davantage un toilettage qu'une abrogation de la loi Pasqua. Seuls quatre articles sur les vingt de la loi Pasqua sont touchés. Bref on peut parler d'un “Canada Dry” d'abrogation. [...] S'il s'agit du texte définitif que le gouvernement veut présenter à l'Assemblée nationale, ce n'est pas acceptable, c'est en contradiction avec les engagements pris et avec l'annonce du Conseil des ministres du 29 mars [85].

Texte 35

Le gouvernement ne voulait pas de cette loi à l'origine. C'est la mobilisation des antiracistes et la décision du Président de la République qui ont permis d'en finir avec cet immobilisme. Aujourd'hui, je crois que le gouvernement aurait intérêt à défendre sa réforme avec beaucoup plus de vigueur, à la mettre en perspective, à l'insérer dans une politique cohérente d'intégration des immigrés à laquelle il manque encore les volets logement, école, naturalisation et citoyenneté [86].

Texte 36

Il n'y a pas de grands équilibres à préserver sur le terrain des droits de l'homme. Si le consensus politique doit se payer par l'incapacité de revenir sur des injustices que l'on a condamnées pendant la période 86-88, je crois qu'il ne faudra pas s'étonner de susciter une grande déception chez ceux qui attendaient quelque chose. Pour tout dire le compte n'y est pas. Il est grand temps de passer à l'action en matière de lutte contre les exclusions [87].

Texte 37

Le premier ministre pense qu'il faut agir sur les conditions de vie quotidienne, le logement, les “ascenseurs et les boîtes aux lettres” comme il dit. Vous devriez être d'accord puisqu'il n'a fait que reprendre des expressions  – “réparer les boîtes aux lettres et les ascenseurs”  – que vous aviez déjà utilisées. [ Réponse : ] Encore faut-il le faire et s'en donner les moyens. Mais quand on a réparé l'ascenseur et que quelqu'un écrit dessus “les français d'abord”, on n'a pas résolu tout le problème. Il faut affronter le débat d'idées sur l'intégration des immigrés, leur insertion dans les quartiers. La gauche a effectué une sorte de looping. Après s'être contentée d'une réponse morale dans le début des années 80, une partie de la gauche semble vouloir se contenter, aujourd'hui, d'une réponse sociale. On ne peut pas déserter comme cela le débat d'idées [88].

Texte 38

Il faut de nouveaux moyens. Et vite. Si on ne fait rien, dans quelques années il y aura des ghettos partout et des banlieues peuplées de bandes en tout genre. Evidemment, il faudra y mettre le prix. Accélérer l'intégration et lutter contre l'échec scolaire, ça coûte cher. Car c'est un traitement qui ne concerne pas seulement les immigrés mais tous les exclus de la société, quelle que soit leur origine. La misère n'a pas de couleur, l'intégration non plus [89].

Texte 39

Nous, cela fait trois ans que nous ne cessons d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur la dégradation du climat dans les banlieues. [...] Les pouvoirs publics ne se sont pas donnés les moyens de remettre en cause cette dérive. On créait un secrétariat général à l'intégration, on annonçait une politique de la ville, mais l'intendance ne suivait pas. Si bien que l'on a plutôt accru les frustrations et découragé les acteurs de terrain. On a cru que la société française pouvait vivre avec 10 % de chômage. Et bien non, ça pète ! Parce que dans certains quartiers, pour les jeunes ça veut dire 30 % ou 40 % et aucune perspective, ni de statut social, ni d'argent. [...] La grande erreur des trois années qui viennent de s'écouler a été de penser qu'on pouvait tout régler par des procédés technocratiques dans les banlieues. Or l'essentiel, pour les pouvoirs publics, ce devrait être d'aider à faire émerger, face à lui, un interlocuteur et de redonner du sens à un dialogue civique. Mais il faut accepter que cet interlocuteur intervienne comme perturbateur du fonctionnement technocratique. Il faut accepter que des gens revendiquent, admettre qu'ils se révoltent. Il faut accepter qu'il y ait conflit civique [90].

Texte 40

Les pouvoirs publics ont tellement épongé le discours des associations sur l'intégration qu'à la fin ce discours finit par ne plus vouloir rien dire. On n'attend pas qu'ils annoncent un nouveau coup, on attend qu'ils se mettent à l'écoute des gens, qu'ils répondent concrètement à leurs demandes, qu'ils se donnent les moyens administratifs et financiers de traduire sur le terrain leurs décisions politiques. C'est la seule façon de recrédibiliser l'action des pouvoirs publics [91].

Texte 41

Le problème principal est celui de l'intégration sociale. Il faut absolument prendre garde à ne pas s'orienter vers une situation à l'américaine. Car on aurait alors une petite partie des communautés issues de l'immigration qui aurait une réussite brillante dans le show-business, l'entreprise, l'université mais qui masquerait de l'autre côté l'exclusion du plus grand nombre, qui régresserait dans le ghetto ou dans la marginalisation sociale. Le plus grand risque aujourd'hui en France est de voir se constituer un cocktail raciste banalisé, pas forcément spectaculaire, à base d'expulsion sociale, de dérive des grands ensembles vers les ghettos. Et depuis la guerre du Golfe, il faut ajouter un risque de guerre des cultures, fondé sur ce sentiment que la politique du pays est indifférente aux problèmes du Sud, du monde arabe, du Maghreb [...] [92].

Texte 42

Moi je ne peux pas faire arriver le métro aux Minguettes ! Je n'ai pas les moyens de financer les équipements collectifs ! Je ne suis pas au pouvoir : ce sont les élus, les présidents de conseils généraux, Michel Rocard, François Mitterrand qui peuvent le faire. Qu'ils le fassent ! Je demande au Premier ministre [Michel Rocard] de ne pas simplement dire mais de faire. (...) Assez parlé, agissez ! [93].

Texte 43

Nous étions contre ceux qui voulaient les alliances avec Le Pen, la loi Pasqua, la réforme du Code de la nationalité. Si ceux qui sont aujourd'hui au pouvoir ne font pas avancer l'intégration, nous le disons. Et nous continuerons à dire la vérité : qu'ils n'ont pas été capables de faire ce que ce pays attendait. Cela fait un an et demi que j'ai tiré la sonnette d'alarme en expliquant, dans vos colonnes que l'intégration était en panne. Cela fait un an et demi que l'on ne m'écoute pas [94].

Texte 44

Voilà deux ans que la gauche est au pouvoir et elle s'aperçoit aujourd'hui seulement qu'il y a urgence ! C'est une sorte d'aveu. Ce n'est pas moi qui peux réparer les HLM ! Quand on est au pouvoir, il ne s'agit pas seulement de dire, il faut aussi faire ! [95].

Texte 45

Nous, nous avions mis en œuvre des méthodes de mobilisation majoritaire. Mais la gauche, revenue au pouvoir en 1988, n'a pas relayé, ne s'est pas appuyée sur ce mouvement d'opinion pour le traduire en une véritable politique sociale qui redonne confiance au pays dans sa capacité d'intégration et le détourne de la démagogie anti-immigrés. Les choses ont trop tardé. Trois ans pour créer le ministère de la ville. Certains à gauche, et c'est plus grave, ont même passé leur temps à se défier de ce mouvement et à le culpabiliser. D'où le désarroi, une désaffection à l'égard de la gauche, une démobilisation. Il y a des gens qui ne sont pas à leur place quand ils prétendent être aujourd'hui à la tête des manifestations : ce que l'on attend d'eux, c'est qu'ils soient à la tête d'une politique sociale. Il faut que chacun fasse son travail [96].

Texte 46

Une chose nouvelle dont on se félicite, c'est la création d'un ministère de la Ville. Certes nous souhaitions un ministère de l'Intégration, car nous pensons que les problèmes ne sont pas uniquement de nature urbaine. En tout cas, c'est la première fois depuis 1988 que nous avons une réponse concrète aux demandes que nous formulons. Cela dit, il est évident que nous, comme les gens concernés, nous jugerons sur les résultats et pas sur les intentions. Nous notons avec satisfaction que les deux projets de loi Delebarre reprennent certaines revendications du manifeste de l'intégration adopté à notre dernier congrès. Là où il y a problème, c'est quand la loi annonce des mécanismes sans toujours donner les moyens de les mener à leur terme. C'est surtout le cas en matière d'équipements sociaux [97].

Texte 47

On a parlé de repositionnement de SOS-Racisme après ce congrès. Est-ce-que vous acceptez ce terme ? [ Réponse : ] Oui, on peut parler de repositionnement dans la mesure où l'opinion publique percevait SOS comme étant directement lié au gouvernement. Nous avons rencontré le Premier Ministre en janvier et nous lui avons exprimé les mêmes positions qu'aujourd'hui. Il s'avère que non seulement nous n'avons pas été entendus, mais voilà qu'en plus on nous fait le procès d'être les créateurs du racisme dans ce pays, et ceux qui jettent de l'huile sur le feu [98].

Texte 48

En ce qui concerne les conséquences de notre prise de position pendant la guerre du Golfe, je crains que le gouvernement ne nous fasse payer notre indépendance  – après avoir repris nombre de nos idées et de nos propositions concrètes. La gratitude n'est pas le fort du monde politique... Financièrement, cela a déjà des conséquences [99].

Texte 49

On pourrait réfléchir à une espèce de pacte que signeraient les élus démocratiques et qui serait rédigé par des gens comme Simone Veil, Michel Noir, Bernard Stasi et des élus de gauche. Il s'agit de définir un accord sur lequel les démocrates sincères pourraient s'entendre et qui serait un pacte de non-complaisance dans le travail démocratique [100].

Texte 50

Il y a quatre ou cinq ans seulement, toute une partie de la droite et même une partie de la gauche tablaient sur une politique de retour massif, dans le pays d'origine, par l'incitation ou la contrainte. Ceux qui sont intimement convaincus que l'intégration est la bonne solution ne doivent pas laisser l'aile dure du RPR s'exprimer en leur nom et saboter une évolution plutôt saine du débat politique. L'attitude d'Alain Juppé, en particulier, n'est pas cohérente. Il avait annoncé que l'ère des ambiguïtés envers le Front national était passée et que le gaullisme revenait à ses traditions humanistes. Mais il fallait aller jusqu'au bout. Or, dans le débat d'aujourd'hui, on se sert encore de l'immigration comme d'un épouvantail [101].

Texte 51

Que pensez-vous de l'hypothétique création d'un “front républicain” contre Jean-Marie Le Pen ? [Réponse :] Je ne suis pas partisan d'un “front républicain” qui structurerait toute la vie politique autour du Front national et lui ouvrirait un espace plus important encore. Sur ce point, Alain Juppé a raison. Il faut dénoncer le cynisme d'une partie de la gauche, qui compte sur le Front national pour se rendre indispensable en l'absence de tout projet nouveau. Mais la droite doit encore faire le ménage dans son propre camp [102].

Texte 52

Nous avons invité Antoine Waechter parce que les Verts sont maintenant une composante importante de l'opinion. Par ailleurs, nous attendons beaucoup des nouvelles forces et des nouvelles générations politiques. Que ce soit sous la forme de partis comme les Verts ou de personnalités comme Michel Noir, Bernard Stasi, etc. il existe une génération en politique qui possède une approche différente sur l'intégration, le racisme, la politique de la ville [103].

Texte 53

Comment jugez-vous la précipitation du PS à encadrer votre manifestation ? [ réponse : ] Le PS avait initialement refusé de signer l'appel lancé par SOS-Racisme, la Fasti, la Ligue des droits de l'homme et le MRAP. Il le jugeait trop exigeant sur le droit d'asile, la double peine et le droit de vote des étrangers. Puis il a décidé de monter en tête du wagon. C'est la rançon du succès. Je fais simplement remarquer aux dirigeants socialistes que quand on est , depuis si longtemps, aux affaires, on devrait être un peu plus modeste. C'est quand même d'abord sur le terreau de l'exclusion sociale qui s'est développée ces dernières années que le Front national a prospéré ! Et puis, il n'y a pas eu que les mots malheureux “d'invasion” et “d'odeurs”, il me semble que l'on a parlé aussi de “charters” [104].

Texte 54

En réalité, le pouvoir cède sur les valeurs de gauche, il brouille les messages. D'un autre côté, on parle de loi cadre pour l'intégration, on met en place des dispositifs pour les quartiers défavorisés d'accord, mais il n'y a aucun moyen pour cette politique. Rien ne se met en place. Les efforts contre l'exclusion, pour le logement, pour la formation, l'insertion scolaire, les actions concrètes viennent presque toujours des mêmes, des associations ou de groupes d'individus. Alors où est le souci de l'égalité des droits, de la lutte contre l'exclusion et la marginalisation ? [105].

Texte 55

La Manif de samedi n'est pas d'abord une manif anti-Le Pen  – c'est malhonnête de la présenter ainsi  – c'est une manif pour obtenir une politique sociale en faveur de l'égalité et contre les exclusions [106].

Texte 56

Aider les peuples du monde arabe à se libérer, c'est justement sortir des schémas qui ont mené à cette guerre. C'est cesser de s'appuyer sur un dictateur pour en affaiblir un autre, de surarmer un régime pour neutraliser le voisin, et de punir tout un peuple au napalm, pour le monstre que nous avons fabriqué et entretenu à sa tête [107].


Les prises de position politiques de SOS se sont donc considérablement modifiées entre 1985 et 1992. Elles ont connu trois phases :
 – Entre février 1985 et mars 1986, un gouvernement socialiste est au pouvoir mais l'association naissante ne dispose pas d'un catalogue de propositions ou de revendications et ne fait pas de l'intervention de l'Etat et du gouvernement un élément susceptible de réduire le racisme. Le Parti socialiste et le gouvernement de Laurent Fabius ne sont donc pas mis en difficulté par les actions de SOS. La cible de l'association est alors « le racisme » et ce qui apparaît comme son incarnation politique, le Front national. Les critiques qui lui sont adressées gênent finalement moins Jean-Marie Le Pen que les partis de la « droite républicaine » qui craignent à cette époque un mauvais report de voix sur leurs candidats au second tour de la plupart des élections, et qui tentent de retenir ceux de leurs électeurs qui choisissent de les quitter.
 – Entre mars 1986 et mai 1988, SOS critique à la fois la politique du gouvernement de Jacques Chirac et les alliances ou les « concessions » que les partis de la « droite classique » risquent de faire au Front national. Harlem Désir met en cause les « bavures », la politique répressive à l'égard des immigrés, la réforme du Code de la nationalité. Il critique également les rapprochements entre Charles Pasqua et le Front national, concrétisés notamment par la déclaration du ministre de l'Intérieur affirmant, entre les deux tours de l'élection présidentielle, que « le Front national poursuit essentiellement les mêmes valeurs que les partis de la majorité ». À partir d'août 1987, l'association dispose d'un programme ou d'un catalogue de propositions destinées à faire reculer le racisme. Les reproches que l'association adresse au gouvernement de Jacques Chirac gagnent en précision. L'action de SOS est alors surtout dirigée contre les partis de la « droite classique ».
 – Entre mai 1988 et 1992, l'orientation de SOS change radicalement : le Front national et les partis d'opposition ne constituent plus sa cible principale. L'association demande au gouvernement de Michel Rocard la création d'un ministère de la ville et la mise en œuvre du plan d'action pour la rénovation des banlieues et la prise en compte des problèmes des populations « issues de l'immigration » et marginalisées. Puisque le gouvernement ne s'engage pas suffisamment vite dans cette voix, les critiques que l'association adresse aux gouvernements de Michel Rocard, puis d'Edith Cresson et de Pierre Bérégovoy engagent l'association dans une opposition de plus en plus ferme au Parti socialiste. Les prises de position de l'association contre la politique sociale du gouvernement de Michel Rocard, en faveur de la tolérance du port du voile dans les établissements scolaires et contre la Guerre du Golfe engage l'association dans une opposition « de gauche » à un gouvernement socialiste. La tentative d'Harlem Désir, après son départ de la présidence de l'association, de constituer un mouvement politique situé entre le P.C. et le P.S. est la poursuite de cette stratégie de contestation du P.S. sur sa gauche.

B) Le discours programmatique de SOS-Racisme

Nous allons faire ci-dessous l'analyse de l'évolution des thèmes mis en avant par les porte-parole de l'association. Nous allons analyser les prises de position de l'association sur des points précis qui ont été l'objet de polémiques ou de discours critiquant l'association. l'ensemble des critiques et des points de débat permettent l'élaboration d'une grille de lecture du discours de l'association qui sert à faire une description systématique des caractéristiques des discours et des offres politiques dans le « secteur de l'immigration », mais aussi de suivre les évolutions des discours de l'association et des contraintes qui s'exercent sur elle.
    Ceci permet de traiter les discours non pas comme des entités abstraites, ayant seulement une cohérence logique qu'on surestimerait, mais comme d'une part un élément d'un système de prises de position en concurrence dont chaque élément s'explique par son opposition à d'autres discours dans un espace social de positionnement conflictuel, d'autre par comme un processus, comme une série de prises de position pas toujours cohérente ou comme une série de tâtonnements et d'ajustements du discours à une série de contraintes qu'on expliquera ensuite, et non pas comme un discours unique entre 1984 et 1994 comme le font (non sans une certaine hostilité à l'association) certains pamphlétaires ou certains acteurs hostiles à l'action de SOS.

1) Le discours de 1987

    a) Le diagnostique que dresse SOS-Racisme

SOS-Racisme appuie son action sur une analyse de l'évolution du racisme. Les responsables de l'association observent un accroissement des agressions à caractère « raciste » qui justifie la poursuite de leur activité [108]. Mais SOS insiste moins sur les agressions « racistes » que sur les problèmes sociaux dont ces tensions sont supposées être la manifestation. En effet, pour l'association, les crimes, les agressions et les bavures « racistes » ne sont que les symptômes d'une situation sociale que la progression du chômage rend particulièrement tendue. Un passage du livre S.O.S. Désir [109], publié immédiatement après la participation de Harlem Désir à l'Heure de Vérité en 1987, décrit le « scénario explicatif » que l'association donne du développement du racisme en banlieue [110] :

Tout commence dans le quotidien, dans les cercles vicieux du quotidien, des cités. C'est toujours la même histoire. Pendant les trente glorieuses, la France devient un Etat industriel moderne. Elle a besoin de main-d'œuvre. Elle la fait venir des campagnes, et d'ailleurs, d'Espagne, du Portugal, du Maghreb. Cette main-d'œuvre, on lui construit, vite, trop vite, et mal, des cités immenses, des machines qui n'ont qu'une fonction : que les ouvriers puissent y loger... Pas y vivre. (...) Là les difficultés commencent. les cloisons sont minces. Tout peut devenir une gêne pour le voisin et toute gêne devient vite insupportable. Dehors, rien, ou si peu de choses. Pas de terrains de sport, des terrains vagues. Pas de gymnases. Rien d'autre à faire que ne rien faire.
    Vient la crise, le chômage. Il touche d'abord, et le plus fort, les emplois les moins qualifiés, les emplois pour lesquels on est allé chercher tant d'étrangers. Les loyers rentrent déjà plus difficilement, les offices HLM gèrent au jour le jour, ils économisent sur l'entretien. Le cycle des dégradations commence. Si une boîte aux lettres cassée est réparée le jour même, c'est une boîte aux lettres qui a été cassée, un point c'est tout. Mais si une semaine passe, si personne ne paraît vouloir faire quelque chose, ça n'est plus une boîte aux lettres qui est cassée, ce sont dix boîtes aux lettres qui sont détruites  – et bientôt le temps où les boîtes aux lettres pouvaient servir à ce qu'on y mette le courrier paraît lointain.
    Dix boîtes aux lettres cassées en bas d'une cage d'escalier, c'est une cage d'escalier avec des graffiti, une cage d'escalier qu'on ne nettoie plus, où on ne change plus les ampoules grillées  – peu à peu une cage d'escalier où on trouve normal que les vitres soient cassées, que les globes d'éclairage disparaissent.
    La crise dure. Les immigrés sont de plus en plus nombreux à perdre leur emploi, leurs enfants de moins en moins nombreux à en trouver. Pour eux, à seize ans, l'école c'est fini. Où aller ? Il n'y a pas où aller. Alors ils sont là dans les cages d'escalier, dans les halls d'entrée des immeubles. Ils zônent.
    Et tout se délite peu à peu. La misère vient et avec elle la délinquance. Les vols se multiplient. La tension entre voisins s'exacerbe. Construit trop vite, peu adaptés à leurs habitants, les bâtiments n'arrangent rien. Les appartements sont trop petits pour les familles nombreuses, l'atmosphère y est étouffante  – et les jeunes préfèrent encore rester dehors. Le moindre bruit se répercute chez le voisin du dessus, chez le voisin du dessous, chez les voisins d'à côté.
    Tout concourt à transformer le chômage, la médiocrité du logement en crise entre communautés. Les jeunes qui traînent dans les cités, ce sont souvent, très souvent, des enfants d'immigrés. Normal : leurs parents habitent là, ils ont plus d'enfants que les autres  – et les jeunes ne trouvent pas d'emploi. Les décalages de coutumes, de rythme de vie deviennent autant de sources de tension : le Ramadan fournit chaque année son lot d'incidents, de petits drames, parfois de vrais drames. Dans cet environnement, tout devient agression : le moindre bruit est intolérable, toute silhouette dans la nuit passe pour celle d'un voleur d'autoradio en puissance, le terrain est mûr pour les tragédies de l'autodéfense. L'étonnant c'est peut-être qu'il n'y en ait pas encore plus...
    Alors les Français qui le peuvent s'en vont  – s'ils sont fonctionnaires, militaires, ils se débrouillent pour obtenir de changer de cité. En 1966, il y avait 20% de Maghrébins, à la cité Font-Vert dans le XIVième arrondissement de Marseille. Vingt ans après, il ne reste que dix familles françaises ; sur 3000 habitants, 70% sont arabes.
    La cité devient la zône : les petits commerces sont partis  – trop de larcins à répétition, et , en plus, la concurrence des hypermarchés ; l'entretien est depuis longtemps abandonné : à quoi bon ? Les autorités baissent les bras : au Plan d'Aou, les deux tiers des 900 logements sont inoccupés. Ceux qui le sont encore le sont à 90% par des étrangers. Des carcasses de voitures brûlées traînent. L'office mure les logements des rez-de-chaussée, les habitants des étages mettent du grillage aux fenêtres ; depuis six ans, le centre commercial est fermé  – muré lui aussi.
    Personne ne peut aimer vivre dans ces cités. Y supporter son voisin, est presque impossible. Terrain parfait pour les thèses racistes : le voisin, c'est un étranger, c'est l'étranger. À la cité des Flamants, 50% de pauvres, 45% de votes pour le Front National... Il ne faut pas aller chercher bien loin pour comprendre comment montent les tensions, comment des enchaînements de causes à effets qui ont bien peu à voir avec les origines, avec la religion, avec les coutumes, alimentent le racisme au quotidien. Les virus sont ceux du chômage, du logement, de l'échec scolaire ; et les symptômes sont la haine, le rejet de l'autre, la désignation d'un bouc émissaire. [111]

SOS décrit ici le processus de dégradation de l'habitat et des relations sociales en banlieue : le chômage crée la pauvreté qui entraîne l'échec scolaire des enfants puis la délinquance qui engendre les tensions puis la haine entre des habitants identifiés à leur apparence ethnique. Le problème central apparaît être la concentration des populations les plus défavorisées et en particulier des populations immigrées dans les quartiers les plus vétustes et les plus mal desservis. Les difficultés de vie (chômage, désœuvrement, pauvreté) induisent des comportements déviants [112] (délinquance, économie parallèle) qui concourent à la stigmatisation des « immigrés de la seconde génération » et à l'apparition de comportements « racistes » à leur égard. La cohabitation des familles françaises et immigrées les plus pauvres dans les logements et les HLM les plus inconfortables et les plus périphériques paraît être à elle seule suffisante pour générer des tensions sociales à caractère raciste. L'apparition de ces tensions « racistes » semble considérée comme un processus sans sujet, une sorte de mécanisme qui se déclenche quand certaines conditions sont réunies. Selon cette conception « sociale » du racisme, ceux qui le propagent et ceux qui le subissent sont également considérés comme des victimes de processus économiques et sociaux qui les dépassent et les poussent les uns contre les autres sans qu'ils en aient conscience. Les actes racistes eux-mêmes sont conçus non pas comme les conséquences de préjugés ou de « haines raciales » mais comme les effets de conditions de vie (logement, chômage, etc.) engendrant naturellement tensions et agressivité.
    Le discours que tient SOS en 1987 fait disparaître un personnage classique du discours antiraciste, celui du « beauf », du « petit blanc », du raciste stupide. SOS tient un discours sans adversaire autre que les représentants de « l'extrême droite ». En dehors des « racistes » politiques, propagateurs intentionnels des discours « xénophobes », la plupart de ceux qui tiendraient des propos ou adopteraient des comportements « racistes » ne seraient que superficiellement « racistes », en fonction des frictions sociales de proximité qui les opposent à des populations stigmatisées. Ainsi, SOS-Racisme admet l'existence d'une délinquance propre aux jeunes maghrébins, et reconnaît le rôle qu'elle joue dans l'apparition de tensions « racistes », mais il souligne qu'il s'agit du produit des déséquilibres économiques et urbains propres aux habitants des banlieues, plutôt que d'un problème particulier aux populations immigrées. L'association indique qu'il serait préférable d'agir sur ce qu'elle considère comme les véritables causes de la délinquance plutôt que sur ses effets.

Honnêtes, nous le sommes lorsque nous ne nions pas qu'il existe un vrai problème de la délinquance immigrée : les tribunaux voient passer, tous les jours, une proportion importante d'immigrés, eux qui en grand nombre peuplent les prisons. Mais une fois cette constatation faite, deux conceptions s'opposent. Ou bien on considère que les immigrés sont intrinsèquement mauvais, inadaptés socialement, et que seule la violence de la répression peut leur être opposée, ou bien on s'interroge sur les raisons réelles de cette délinquance. (...) Force est de constater qu'ils font l'objet d'une surveillance particulière et que seule leur précarité sociale est la cause de cette délinquance. [114]

Les relations difficiles que les « jeunes des quartiers » entretiennent avec la police ont souvent été à l'origine des rodéos et des émeutes urbaines qui ont eu lieu aux Minguettes, à Vaulx-en-Velin ou à Sartrouville, mais aussi de la créations des associations « beurs » et des mobilisations collectives des marches [115]. Hormis dans le texte cité ci-dessus, les porte-parole de SOS ont rarement évoqué le système de relations conflictuelles formé par la police et les « jeunes des quartiers » qui tend à produire les « bavures » et les émeutes urbaines. Une telle analyse risquerait en effet de suggérer qu'une part de responsabilité incombe aux jeunes eux-mêmes, ce qui n'améliorerait pas l'image de SOS dans les banlieues et nuirait aux efforts de l'association pour faire apparaître les « jeunes issus de l'immigration » comme des victimes, discours jugé nécessaire pour mobiliser les médias et l'opinion contre les « bavures » et les « crimes racistes ». De même, SOS a longtemps évité de prendre position sur le caractère criminogène de la consommation de drogues et de leur prohibition estimant d'une part qu'elle n'était pas capable de modifier le consensus général sur leur condamnation, et que d'autres part lier la « question des banlieues » au trafic de drogue risquerait d'identifier les « jeunes issus de l'immigration » à l'une des formes de criminalité les plus réprouvées.
    Considérant la délinquance comme une fonction directe de la pauvreté et du chômage, l'association juge que les pouvoirs publics devraient s'attacher à traiter ces problèmes spécifiques plutôt que de s'en tenir à une simple politique de répression. Dans le discours que tient SOS à partir 1987, la plupart des manifestations de « racisme » sont donc conçues comme les effets de dysfonctionnements sociaux qui appellent une thérapeutique appropriée. Cette analyse de la situation des populations immigrées et « issues de l'immigration » conduit logiquement l'association à proposer la mise en œuvre par l'Etat de politiques publiques susceptibles de réduire les causes des tensions sociales engendrant le racisme.

    b) Les propositions de SOS-Racisme

Puisque l'association considère que le racisme a pour origine la situation sociale et économique des populations, d'origine immigrée ou non, habitant dans les cités de banlieue, elle préconise d'améliorer les conditions de vie dans ces quartiers pour faire décroître les tensions racistes. Pourtant, SOS ne prétend pas proposer des solutions pour ce qui apparaît comme le facteur de précarité sociale le plus important : le chômage. La question est déjà débattue depuis de longues années par les hommes politiques et il serait donc difficile à SOS d'avancer des solutions originales et crédibles [116]. L'association préfère énoncer des propositions plus modestes pour traiter certains des problèmes qui tendent à aggraver les conflits et les haines dans les « quartiers en difficulté ».
    Outre le chômage, SOS relève deux causes principales des tensions sociales qui se transforment en tensions racistes : la conception fautive de certains quartiers jointe à la politique d'accession à la propriété qui contribuent à concentrer les populations les plus pauvres et les plus fragiles dans certaines cités HLM et l'échec scolaire qui conduit beaucoup de jeunes à n'avoir aucune qualification et aucune perspective d'emploi.

    La formation scolaire

SOS souhaite que l'école remplisse son rôle d'alphabétisation des enfants d'origine étrangère mais aussi qu'elle leur offre les mêmes chances de réussite qu'aux autres enfants. En matière d'échec scolaire, l'association présente les méthodes de deux instituteurs d'une école de la rue de Tourtille : au lieu de réprimer l'expression des cultures de leurs élèves de différentes nationalités, au risque de les détourner de tout intérêt pour l'école, ils ont organisé dans le cadre de leurs classes des activités où chaque enfant était amené à parler de la culture et du pays de ses parents. Le but recherché était de contribuer à l'épanouissement et à la fierté personnelle des élèves pour favoriser un investissement scolaire plus important.

Trois ans plus tard, la plupart de ces élèves sont parvenus en classe de cinquième. (...) Tous ces enfants ne feront sans doute pas polytechnique. Les embûches du système scolaire sont encore suffisamment nombreuses pour les laisser en route. Ils auront néanmoins reçu une éducation de base décisive. [117]

SOS ne propose pas de promouvoir par l'école l'ensemble des « immigrés de la deuxième génération », l'objectif paraîtrait sans doute irréaliste. L'association souhaite plutôt éviter que certaines zones et certaines populations soient d'emblée exclues de toute possibilité de promotion sociale par l'école et qu'elles ne se tournent vers une « culture de ghetto », où « l'économie parallèle » et les activités illégales constitueraient la seule source d'enrichissement et de promotion possible. SOS considère donc qu'il faut maintenir la crédibilité de l'institution scolaire dans les zones en difficulté pour que les jeunes « issus de l'immigration » puisse investir dans l'école.

Dans le domaine de l'école, par exemple, je pense qu'il faut quelque chose qui ressemble à des discriminations positives. Je crois à des mesures de promotion, d'incitation, que des enseignants motivés puissent intervenir dans des zones d'éducation prioritaires avec des renforts budgétaires. Il faut donner une prime à l'action de l'Etat, de l'Ecole, dans les zones les plus défavorisées [118].

Pour parvenir à maintenir la « continuité scolaire » des établissements, c'est-à-dire pour que l'écart entre les niveaux moyens des élèves des collèges des zones les plus défavorisées et ceux des quartiers ordinaires ne fassent pas des premiers des sortes de garderies ou de machines à prendre du retard, SOS propose une politique volontaire de l'Education nationale compensant par des moyens financiers supplémentaires et des effectifs renforcés les handicaps des habitants des quartiers en difficulté. Toutefois, il s'agit là de mesures à moyen terme et l'association n'apporte aucune précision sur leur degré d'efficacité ou sur leur coût : dans des quartiers où les investissements scolaires sont délégitimés et considérés comme illusoires, il est sans doute moins facile que ne l'indique l'association de modifier les perceptions et les anticipations des familles et des élèves [119]. En outre, SOS ne fait pas de proposition pour ceux dont le parcours scolaire est achevé et dont le niveau de formation ne les prépare souvent qu'au chômage.
    Mais la formation scolaire ne suffit pas puisque SOS dénonce les nombreuses discriminations à l'embauche envers les « jeunes issus de l'immigration ». S'ils sont en moyenne moins diplômés que les jeunes « français de souche », les « enfants d'immigrés » sont, à qualification égale, plus souvent au chômage [120]. L'association ne propose cependant pas de mesures précises pour lutter contre la discrimination à l'embauche en reconnaissant qu'elle est souvent très difficile à prouver. SOS préfère présenter des cas de réussite personnelle de « beurs » : celle de Zaki Laïdi, chercheur au CNRS, ou celle d'Aliona Assiz, pharmacien de Pouilly-sous-Charlieu, regroupés dans un chapitre intitulé « Objectif cadre sup ». Sont également présentés les cas d'un créateur de mode de Marseille, du fondateur d'un magasin d'alimentation, des créateurs d'une entreprise de pièces détachées automobiles d'occasion, d'un sculpteur qui est « un des décorateurs vedette du show-biz », regroupés dans un chapitre intitulé « La génération des entrepreneurs ».
    En présentant l'école comme le principal outil de la mobilité sociale et en citant en exemple des cas de réussite individuelle, SOS fait implicitement de la promotion personnelle, par les diplômes ou le travail, la seule voie d'intégration possible [121]. Il s'agit moins de promouvoir des revendications collectives, ou une avancée commune de l'ensemble de la population des « jeunes issus de l'immigration » qu'une sorte de salut individuel par l'école et par la réussite professionnelle conçu sur le « modèle » de l'intégration des immigrations italiennes et polonaises. Dans cette perspective, les revendications collectives n'ont pour but que d'améliorer les conditions de la réussite individuelle et de permettre l'établissement d'une plus grande « égalité des chances ». En ce sens, les propositions de SOS-Racisme apparaissent profondément différentes de celles des associations « beurs » ou des autres associations antiracistes, à l'exception peut-être de celles de France-Plus [122].
    De tels propos sur la promotion sociale étaient probablement plus destinés aux journalistes ou au public « français de souche » qu'aux jeunes de banlieue et aux associations « beurs » qui ne pouvaient que rejeter des thèmes qui, d'une part, sont en grande partie irréalistes, puisque cette « promotion sociale » ne pourrait toucher à moyen terme qu'une faible minorité des « jeunes issus de l'immigration » et qui, d'autre part, contribuent à relativiser la posture de victime qu'elles cherchent à définir (parallèlement à SOS d'ailleurs) pour les « beurs » car ils tendent à attribuer aux jeunes une part de responsabilité dans leurs échecs. On peut supposer en effet qu'un discours sur la nécessité de la réussite scolaire et professionnelle serait mal perçu par des « jeunes des cités » souvent en situation d'échec scolaire et qui ne se mobilisent le plus souvent que lors d'incidents avec la police. SOS-Racisme ne va d'ailleurs pas insister sur ces thèses qui sont plutôt issues des parrains intellectuels de l'association réunis dans le comité Brain-pote qui ont aidé Harlem Désir à préparer son Heure de Vérité et en particulier de Christophe Riboud. Par la suite Harlem Désir ne parlera plus de « l'objectif cadre sup » ni de la « génération des entrepreneurs », thèmes qui seront donc abandonnés.

    Le logement

Mais le principal objet des propositions de l'association est le logement. SOS présente les cas de deux rénovations urbaines citées comme exemplaires des possibilités d'amélioration des « quartiers difficiles ». Aux Minguettes, des tours ont été détruites pour réduire la concentration de population, l'intérieur des logements a été réaménagé et leur aspect extérieur amélioré, de préférence par des entreprises embauchant des jeunes habitants du quartier. Des commerces ont été réinstallés, dont « trois sont tenus par des couples de jeunes arabes » ; la confiance retrouvée a permis d'arrêter le processus de concentration aux Minguettes des familles immigrées les plus défavorisées. Ce réaménagement opéré par les sociétés de HLM a été largement subventionné par l'Etat qui a donné 96 millions de francs entre 1982 et 1986. SOS souligne toutefois le rôle pacificateur de la marche des beurs qui aurait permis de diminuer les tensions et de renouer les fils du dialogue [123].
    À Clermont-Ferrand, le Quartier du Mazet dans le centre ville, considéré comme un quartier vétuste et « peu sûr », était principalement habité par des familles immigrées : « Le Mazet tournait au ghetto » [124]. La rénovation entreprise par la municipalité et l'office de HLM consistait, pour « conserver son cachet au quartier », à racheter les immeubles, à les rénover dans la mesure du possible pour ne détruire que les plus insalubres. Le but de la rénovation est aussi de ne pas chasser les anciens habitants en banlieue mais de les reloger dans les immeubles modernisés en compensant les augmentations de loyer par l'attribution d'aide au logement [125]. À travers ces exemples SOS-Racisme propose une action directe des pouvoirs publics pour la rénovation des quartiers insalubres et des quartiers-ghettos. Il s'agit de diminuer les tensions sociales qui sont induites par les conditions de logement et la concentration des populations les plus pauvres.

Dans le domaine du logement, il faut réfléchir à une loi cadre anti-ghetto qui fasse que, sous forme de dégrèvements fiscaux, de subventions, d'aides publiques, on favorise la construction, la réhabilitation, l'aménagement de la vie sociale dans les endroits qui sont en voie de ghettoïsation ; une sorte de New Deal, de grande redistribution qui ne peut s'appuyer que sur l'action de la collectivité, des pouvoirs publics, de l'Etat. Il faut prendre des mesures anti-ghetto sinon, demain, on en arrivera à se poser la question de comment enrayer la spirale de l'exclusion de ces communautés [126].

SOS-Racisme souhaite voir les pouvoirs publics jouer un rôle important dans l'intégration des populations immigrées et dans la diminution du « racisme ». Il s'agit de résorber les quartiers dont les particularités induisent des « tensions racistes » et à fournir les moyens d'une réelle égalité des droits en matière d'éducation et d'embauche entre les « beurs » et les « Français de souche ». Finalement, l'association ne demande rien d'autre que l'établissement dans les quartiers de banlieue et pour les « immigrés de la deuxième génération » des conditions de l'application du « principe républicain » de « l'égalité des chances » [127].

    Les flux migratoires

Lorsque le Front national impose dans le débat public le thème de « l'immigration clandestine », repris et utilisé avant les élections législatives de 1986 par les partis de la « droite républicaine » contre le gouvernement socialiste accusé de « laxisme », SOS-Racisme est contraint de prendre position sur la question de la réduction des flux migratoires, terrain qui ne favorise pas la défense des immigrés puisque ceux-ci sont d'emblée placés en position de hors-la-loi. Toutefois les positions de SOS sur l'évolution des flux migratoires manquent parfois de clarté, en partie parce que l'association semble vouloir tenir un discours de principe restrictif en direction des médias et du public français sans pouvoir assumer auprès du milieu associatif militant et des organisations « beurs » les conséquences restrictives et policières de l'application de ces principes. Ainsi SOS-Racisme paraît accepter l'idée d'une politique restrictive en matière d'immigration :

L'immigration clandestine ? Elle n'est pas souhaitable : la rendre légale, c'est accréditer l'idée d'une croissance indéfinie et incontrôlée du flux migratoire, qui ne fera qu'exaspérer les extrêmes ; c'est surtout mettre sur le même plan le nouvel arrivant et celui qui travaille depuis des années à s'intégrer ; c'est déstabiliser les communautés présentes en France pour un bénéfice aléatoire dans une période de fort chômage. La situation des clandestins doit être examinée dans des conditions conformes au droit des gens, et non comme aujourd'hui sous la seule responsabilité de l'arbitraire administratif et policier. Les immigrés sans papiers ne sont pas des criminels. Leur seul tort est de chercher du travail [128].

Les arguments que l'association met en avant pour refuser l'immigration clandestine n'adoptent pas la formulation provocante qui sera celle de Michel Rocard quelques années plus tard : « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » [129] mais sont assez proches de ceux qui seront alors avancés. Le maintien d'un flux migratoire positif risquerait de favoriser le développement du racisme et « des extrêmes » et nuirait à l'intégration de l'ensemble des immigrés. On est ici proche de l'idée de seuil de tolérance (même si SOS a toujours réprouvé le terme et les politiques qu'il suppose [130]) : toute introduction supplémentaire d'immigrés risquerait de provoquer un mécontentement général et des réactions « racistes ». Si l'immigration clandestine est condamnée, l'association nuance quelque peu cette position en constatant que certains secteurs économiques fonctionnent quotidiennement avec une main d'œuvre en situation illégale :

La confection ou une partie du secteur de la construction survivent principalement grâce à l'existence des clandestins. [...] Une répression féroce aboutirait à la fermeture d'entreprises et à la délocalisation des activités, provoquant la mise au chômage de beaucoup de français. Favoriser la régularisation de tous ceux qui le désirent serait plus opportun qu'une répression-renvoi inutile car à chaque fois le remplaçant existe déjà [131].

La régularisation d'immigrés clandestins est même envisagée. Toutefois, l'argumentation de SOS semble contradictoire : si l'immigration clandestine est engendrée par le besoin de l'industrie textile et du secteur du bâtiment en main d'œuvre bon marché parce que non déclarée et en situation précaire, la régularisation des clandestins leur ôterait une grande partie de leur attrait économique pour en faire des salariés comme les autres. En réalité, SOS ne propose pas de créer un statut de salarié clandestin précaire et sous-payé mais cherche ici à atténuer partiellement la réprobation qui entoure les travailleurs immigrés clandestins en les présentant comme des auxiliaires indispensables de la bonne marche de l'économie. L'association affirme donc simultanément qu'il ne faut pas encourager l'immigration clandestine mais que sa répression ne sert à rien et serait même contre-productive pour l'économie française, que les renvois sont inutiles puisque pour chaque clandestin expulsé « le remplaçant existe déjà » et qu'il vaudrait mieux procéder à des régularisations [132]. En outre, l'association demande que la situation des immigrés clandestins soit examinée par la justice plutôt que par la police pour que les immigrés échappent à « l'arbitraire administratif » et puissent bénéficier des « garanties du droit ». SOS déclare donc condamner l'immigration clandestine tout en rejetant toutes les mesures d'ordre répressif qui pourraient être prises pour la combattre. Harlem Désir propose même une loi assouplissant les conditions de naturalisation :

Pour ceux qui résidant en France, mais qui n'y sont pas nés, le seul accès à la citoyenneté française, c'est la naturalisation. S'engager dans l'aventure de la naturalisation relève du parcours du combattant. La plupart des migrants ignorent totalement leurs droits. Ce sera à eux de trouver l'information et de tenter de contourner tous les obstacles... Il n'y a pas de meilleure entrave à la progression des naturalisations. Nous sommes pour une loi ouverte : tout étranger résident en France depuis plus de cinq ans doit pouvoir devenir français sur simple manifestation de sa volonté, par déclaration [133].

Il serait donc logiquement possible à un immigré de se faire régulariser puis naturaliser un peu plus de cinq ans après une entrée illégale sur le territoire français, possibilité qui ne semble pas compatible avec une politique d'arrêt de l'immigration. SOS reprend pourtant la revendication du droit de vote des étrangers aux élections municipales commune à toutes les associations antiracistes et aux associations « beurs ».

L'attribution des droits politiques aux immigrés se fera un jour ou l'autre, elle est inscrite “dans l'ordre des choses”. Elle se fera parce que le statut d'étranger, fondé sur l'exclusion des droits politiques, n'est plus adapté à une présence immigrée d'un type nouveau. Toute une redéfinition de la place des immigrés dans la société et de leur participation à l'exercice du pouvoir est en train de naître [134].

On pourrait se demander pourquoi SOS demande le droit de vote des étrangers aux élections locales alors qu'il propose également une loi permettant la naturalisation automatique après cinq ans de résidence [135]. La revendication du droit de vote des immigrés aux élections locales revêt une importance symbolique pour les associations « beurs » alors même que leurs animateurs ont pour la plupart la nationalité française : elle leur permet de faire le lien entre les « jeunes issus de l'immigration » et leurs parents [136], entre les luttes des travailleurs immigrés dans les années soixante-dix et les marches des « beurs » de 1983 et 1984 [137]. SOS-Racisme, en maintenant la revendication du droit de vote des immigrés aux élections locales, exprime donc son appartenance à la mouvance des associations « beurs » et des organisations antiracistes [138], c'est-à-dire qu'elle limite les critiques que celles-ci peuvent lui adresser et conserve sa capacité à avoir des militants « beurs » [139].
    L'intervention d'Harlem Désir à l'Heure de Vérité le 19 août 1987 avait surpris les observateurs par la fermeté inattendue de son discours vis-à-vis de l'immigration clandestine [140] mais SOS s'oppose par ailleurs à toute mesure répressive. En réalité, l'association est prise dans un réseau de contraintes contradictoires qui l'oblige à tenir des discours adaptés à ses interlocuteurs : si l'état du débat public l'amène à tenir des propos fermes sur l'immigration clandestine, la concurrence avec les autres associations antiracistes et la nécessité de garder une certaine popularité chez les « immigrés de la deuxième génération » et dans le milieu militant « de gauche » la conduisent à refuser toutes les conséquences pratiques d'une politique d'immigration restrictive. En 1987, la popularité de SOS est telle qu'aucun acteur n'a la possibilité d'exploiter les contradictions de sa position mais il en ira autrement à partir de 1988.
    Pour les responsables de SOS le thème « l'immigration clandestine » a pour inconvénient de donner une tonalité d'emblée suspicieuse et répressive aux débats sur l'immigration. Il établit une connexion entre les « beurs », les étrangers naturalisés, les demandeurs d'asile et les irréguliers et tend à faire de tous les immigrés des clandestins et des coupables potentiels y compris de ceux qui ont la nationalité française. Dans un contexte de chômage généralisé, il est difficile à SOS de se déclarer favorable à l'existence d'un flux migratoire même légal [141]. Le débat sur l'immigration clandestine appelle donc la mise en place d'une structure policière répressive adaptée et oblige SOS à approuver un dispositif conduisant finalement à la possibilité pour la police de contrôler l'authenticité des papiers de chaque passant « au faciès ». L'association cherche donc à montrer que « les immigrés clandestins ne sont pas des criminels » et à mettre en évidence les causes structurelles qui engendrent les flux migratoires, l'écart de développement entre les pays du Sud et ceux du Nord :

La question [de l'immigration clandestine] ne peut être traitée isolément de l'énorme dossier des rapports Nord-Sud. L'inégalité de développement des deux côtés de la Méditerranée est le véritable aliment du flot. De fil en aiguille, la question des sans-papiers nous conduit à celle de l'aide au développement. Seuls les progrès des pays du Sud résorberont le déséquilibre. C'est l'intérêt de la France que de se tourner plus franchement vers la Méditerranée, dont elle est une riveraine essentielle, pour y favoriser la marche vers le progrès économique [142].

Bien sûr, SOS n'indique pas à partir de quand la réduction progressive des inégalités économiques est susceptible d'entraîner la fin des flux migratoires Sud-Nord : si la solution proposée est radicale, elle ne semble pas pouvoir résoudre à court terme la question de l'immigration d'origine politique ou économique. Pour l'association il s'agit moins de présenter des propositions réalistes pour ralentir les flux migratoires que de lutter contre la criminalisation de l'immigration clandestine qui a tendance à s'étendre à l'ensemble des populations immigrées ou « d'origine immigrée ».

    

c) L'avenir de l'immigration

Lorsque l'association évoque le futur des populations immigrées, elle dresse un tableau qui ressemble fortement à une pure et simple « assimilation » [143]. Alors que cette éventualité est explicitement refusée par la plupart des associations « beurs » [144], SOS-Racisme suggère que plus leur séjour en France se prolongera, moins les immigrés et leur enfants seront différents des Français « de souche ». SOS-Racisme propose donc beaucoup plus clairement que les associations « beurs » envisagent la perspective de l'assimilation des populations immigrées à la population française. Cette assimilation est conçue comme un processus social inéluctable mais aussi comme un objectif souhaitable. Ce n'est d'ailleurs pas seulement les « immigrés de la deuxième génération » qui ressemblent aux français mais aussi leurs parents qui tendent à adopter les coutumes et les habitudes françaises :

Le mode de vie français possède une force intégratrice extraordinaire. Par cent moyens, par mille canaux, il pénètre l'esprit de l'étranger. Par son action quotidienne, brutale ou insidieuse, il insuffle dans la mentalité immigrée les germes d'une mentalité commune. La télévision, les journaux, les cafés, le travail au bureau ou à l'usine, les courses chez le commerçant, les relations avec le médecin, l'instituteur, le fonctionnaire ou le pharmacien, le ticket du tiercé, le match du dimanche, la partie de cartes, l'autobus, le métro, la voiture et le garagiste, tout conspire à imprégner des coutumes d'ici celui qui vient d'ailleurs.
    Bientôt l'étranger qui veut préserver son identité d'origine la voit confinée à l'espace du salon et de la cuisine, parfois celui de la mosquée. Fragiles îlots d'identité constamment menacés, d'autant que les enfants nés en France n'ont pas ces craintes et ces scrupules. Oublieux de la langue du pays, ils parlent avec l'accent local, ont les loisirs du voisinage et fréquentent les filles du cru. Tout étranger qu'il est, en dix ans l'immigré est absorbé. Pour résister il lui faut une force d'âme particulière. Elle est rare.
    De cette loi d'airain, cruelle et salutaire à la fois, les chiffres nationaux portent la marque. À dix-huit ans, une proportion infime des fils d'immigrés refusent la nationalité française; sur une classe d'âge, ceux qui font leur service militaire à l'étranger quand ils en ont la possibilité forment une minorité, alors que le souvenir de la guerre d'Algérie provoque dans les familles concernées des drames si le fils sert dans l'armée des anciens colons (...).
    L'histoire confirme amplement tout cela. La France a expérimenté depuis longtemps les afflux migratoires. Vague après vague, tous se sont intégrés. [145]

SOS envisage donc clairement l'assimilation progressive des immigrés. Alors que la haine et le racisme seraient le produit de relations sociales conflictuelles, l'assimilation est présentée comme découlant naturellement des rapports sociaux les plus quotidiens : les immigrés sont conduits à suivre la plupart des coutumes et des usages français. La première génération gardera sans doute certains traits culturels « résiduels », la religion, la disposition de l'appartement ou la façon de manger, mais la génération suivante sera amenée à adopter presque entièrement le mode de vie français. SOS envisage l'intégration de l'immigration maghrébine sur le modèle de celle des autres afflux migratoires qu'a déjà connus la France, c'est-à-dire son absorption indistincte. Le terme « d'assimilation » n'est pas cité parce qu'il est rejeté par les associations « issues de l'immigration » mais c'est bien cette perspective qui est tracée.
    SOS ne peut alors que condamner le « droit à la différence » qui tend à prolonger les caractéristiques particulières des populations immigrées :

SOS Racisme a aussi rompu avec l'ambiguïté du “droit à la différence”, pour prôner le “droit à la ressemblance”. [...] Le “droit à la différence” ne peut couvrir les coutumes ou les pratiques qui contredisent la culture des droits de l'homme. [...]. Ce sont des comportement minoritaires : ils existent. La polygamie est illégale et illégitime, parce qu'elle est contraire aux droits et à la dignité de la femme. Le respect des coutumes traditionnelles est ici second par rapport à celui de la loi. De même le patriarcat traditionnel dans certaines familles doit céder le pas au respect du droit des filles à choisir leur vie, des épouses à divorcer si elles le désirent. C'est le prix incontournable de l'intégration. Le nier, c'est choisir sans le dire la politique du ghetto contre celle du mélange [146].

Toutefois, il ne s'agit pas d'imposer un choix formel aux populations d'origine immigrée. Il ne leur est jamais demandé une démarche volontaire pour rompre avec leurs « différences » ou leur culture d'origine. On ne leur demande pas de renoncer à l'Islam, de renoncer à leur langue ou de franciser leurs noms. L'intégration est seulement conçue comme un processus insensible dont les intéressés eux-mêmes n'ont pas toujours conscience. SOS se contente de refuser l'idée d'un droit propre aux populations immigrées (droit qu'aucune association ne réclame au demeurant) qui autoriserait le maintien de certaines coutumes [147]. L'association prend seulement position contre les coutumes les plus facilement condamnables (polygamie, autorité du père, excision) et elle ne se prononce pas sur des modes de vie plus anodins mais qui rompent avec les pratiques des « Français de souche » et peuvent être utilisées soit comme marqueurs de différence soit comme signes de stigmatisation (pratique religieuse, vêtements, Ramadan, fêtes familiales  – Aït el Kébir  – ).
    La perspective adoptée par SOS fixe une échéance de résolution des « problèmes de l'immigration » très lointaine : la première génération a cohabité plus ou moins bien avec la population française, la seconde génération s'intégrera mais gardera des caractéristiques culturelles qui distingueront ses membres des « Français de souche » et seules les troisièmes et quatrièmes générations seront considérées, y compris ceux qui rejetaient leurs parents ou leurs grands-parents, comme « complètement intégrées », c'est-à-dire assimilées selon le modèle des immigrations russes, italiennes et polonaises.

    

d) Les adversaires de l'antiracisme

SOS-Racisme ne fait pas des électeurs du Front national des adversaires [148]. L'association ne considère pas qu'il y aurait des populations qui seraient racistes a priori : puisque le « racisme » et les tensions raciales sont produites par des « causes sociales », ceux qui vivent en banlieue, qui sont irrités par la présence des immigrés et tentés par le vote Le Pen, sont finalement, comme les immigrés, les victimes d'une situation économique, sociale et urbaine qui les dépasse. Si les dirigeants de SOS proposent des politiques de réduction des sources de tensions racistes, ils assurent ne pas renoncer à tenter de convaincre la « petite partie de l'opinion [qui] s'entretient dans l'idée rance que l'immigration est un handicap et une menace » [149]. Les responsables de SOS semblent donc conserver l'idée que « l'intolérance prospère à la force du préjugé » [150], c'est-à-dire qu'une campagne d'opinion peut agir sur des attitudes « racistes » :

C'est l'irrationnel qui préside à ces angoisses. Du coup, on pourrait croire la discussion inutile. Dès lors que la haine de soi se purge par la haine de l'autre, que l'incertitude identitaire est à la base des certitudes xénophobes, que la répulsion devant la modernisation de la société nourrit l'archaïsme, le débat serait-il inutile ? À quoi bon réfuter une névrose ? (...) L'association se renierait si elle ne croyait pas à la raison, à la démonstration logique, au discours critique. Certes l'argumentation rationnelle ne brise pas le préjugé ; mais elle l'érode et finit par le réduire. Car le racisme pour prendre la parole doit se plier aux règles du discours, à l'apparence du rationnel, dérouler les faits, enchaîner les raisonnements. C'est là qu'il est faible, c'est là qu'il faut enfoncer le coin. On ne tuera pas les préjugés ; on déchirera leur costume de raison. “Les idées ne s'invalident pas, elles s'usent”, disait Raymond Aron. Cette usure n'est pas celle du temps : elle est le fruit d'un patient travail d'explication. Les mots ne s'envolent pas. Petit à petit, ils pénètrent l'esprit. Plaider, argumenter, démontrer, nuancer, discuter, réviser et recommencer : jamais les militants de SOS ne s'en lasseront. Déjà les idées toutes faites sont ébranlées. On le voit bien, en dépit des remous de la scène publique : au fur et à mesure que le débat s'approfondit, sur le code de la nationalité notamment, l'argumentation raciste faiblit [151].

SOS juge nécessaire de combattre la propagande du « parti de l'intolérance » et de la « xénophobie organisée » [152] qui « bat les estrades et se gonfle de sondages et de succès électoraux » [153]. Harlem Désir considère que « Le Pen plastronne » et que « ses éructations tonitruantes empoisonnent l'air médiatique » [154] mais qu'il est possible d'argumenter et d'user les préjugés racistes. Les responsables de SOS font donc une distinction entre les habitants des banlieues qui sont susceptibles de se déclarer « racistes » et de voter pour le Front national et les dirigeants de ce parti qui diffusent une « idéologie xénophobe ». Les premiers paraissent pouvoir être convertis pour peu qu'une politique de la ville résolue atténue ou fasse disparaître les causes des tensions racistes et à condition que les antiracistes mettent en lumière les faiblesses de l'argumentation raciste. Les seconds, accusés de diffuser une idéologie raciste, doivent être combattus politiquement, en les isolant et socialement, par une action sur leurs électeurs, actuels ou potentiels.
    On pourrait observer ici une contradiction entre deux conceptions du racisme, celle qui en fait le produit de dysfonctionnements sociaux sur lesquels il faut agir et celle qui le considère comme un préjugé, une opinion qu'il est nécessaire de combattre par une argumentation juste. SOS ne tranche pas clairement entre ces deux logiques et ne propose pas de solution discursive intermédiaire [155]. Nous ne sommes pas ici dans le domaine d'une argumentation intellectuelle travaillée et polie pour éliminer toute incohérence formelle ou tout espace vide dans la chaîne d'argumentation, mais dans la logique d'un discours pratique qui peut se contenter d'une argumentation floue parce que le lecteur ou l'auditeur n'y regardera pas de plus près à moins d'être déjà foncièrement hostile. En réalité, SOS cherche à tenir simultanément deux discours qui ont des objectifs limités : l'un, sur l'engendrement des actes racistes par le contexte social des banlieues, permet à l'association de demander la mise en œuvre d'une politique publique particulière et donc de critiquer le gouvernement de Jacques Chirac ; l'autre, sur l'utilité des campagnes d'opinion, lui permet de maintenir sa présence dans les médias et de mobiliser ses militants pour des initiatives de visualisation de l'association.

2) Le discours de 1985

Les thèmes qu'Harlem Désir expose pendant l'Heure de Vérité en août 1987 marquent une sensible évolution par rapport à ceux que l'association développe depuis sa fondation. Alors qu'en 1987, SOS avance des propositions de « politiques publiques », en 1985, le discours tenu par les fondateurs de l'association n'était pas de nature à déboucher sur une action gouvernementale précise, sauf sur des propositions pour une plus grande répression pénale des propos « racistes » [156]. Le premier discours de l'association n'est donc pas un programme de revendications que le gouvernement devrait appliquer mais un discours de condamnation du « racisme » et des « racistes ». Il a été a posteriori qualifié « d'antiracisme moral » par les adversaires politiques de l'association qui entendaient désigner son caractère purement verbal et inefficace, mais aussi, dès la création de SOS, par les associations « beurs » qui le perçoivent comme un recul par rapport au contenu revendicatif des marches de 1983 et 1984 [157].

    

a) Un antiracisme moral ?

La lutte antiraciste ne peut rester celle des victimes ou des communautés visées parce qu' “un arabe à Menton, un juif à Paris, c'est toujours nos potes qu'on assassine”. Il faut organiser les convergences les plus larges, en faire le problème de toutes les consciences qui, au-delà des clivages, se sentent concernées. Il s'agit d'exclure le racisme, de le disqualifier, de le “ringardiser”. À ce titre l'école peut jouer un grand rôle ; les enseignants y sont prêts, beaucoup d'ores et déjà, s'y attellent. Les médias doivent, de même, faire un effort pour ne pas cataloguer les crimes racistes dans les faits divers... Je souhaite enfin que le clivage racisme/antiracisme ne recoupe pas les habituels clivages partisans, mais que chacun s'accorde pour dresser un cordon sanitaire autour des idées racistes. (...). Pour une partie de l'opinion publique le racisme est malheureusement devenu une opinion comme une autre, équivalente à son contraire et qu'on pourrait choisir comme on choisit d'être de droite ou de gauche. Tout cela, directement ou indirectement, a accrédité l'idée selon laquelle les immigrés seraient responsables des difficultés vécues. Il faut donc rappeler avec force qu'en aucune circonstance le racisme ne peut être excusable [158].

L'action contre le racisme prend ici une forme strictement idéologique. Le racisme est considéré comme une idée qu'il faut combattre et non comme un processus social comme il le sera dans le discours de l'association en 1987. C'est l'école qui se voit attribuer un rôle central, mais elle n'est pas conçue comme un moyen de lutter contre l'échec scolaire et les écarts de niveaux de diplômes et de taux de chômage entre les « communautés » comme elle le sera en 1987. L'école est considérée comme le lieu où les enfants doivent apprendre le caractère nocif du « racisme » avant de risquer d'être contaminés. SOS-Racisme est alors encore très proche des organisations antiracistes traditionnelles (MRAP, LDH) qui proposent également une action pédagogique contre le « racisme ».
    Pourtant dans les propos alors non revendicatifs de SOS peut parfois se glisser un discours beaucoup plus proche de ce qu'il sera en 1987.

Tout le monde sait que ce fameux “seuil de tolérance” est sorti tout droit de l'imagination fertile de certains hommes politiques. Aucune étude scientifique n'a jamais prouvé  – et pour cause  – que tout marchait bien entre communautés lorsque pour quatre-vingt dix bons français on ne trouvait que dix bougnoules, mais que rien n'allait plus lorsqu'il y en avait douze. En revanche, entassez trois mille familles dans des cités-dortoirs aux murs de papier mâché, sans espaces verts ni distractions à proximité, laissez l'environnement se dégrader, les tenants de l'extrême droite parler à la télévision, et vous êtes sûrs d'obtenir un bon crime raciste, que les immigrés soient 5 pour 100, 10 pour 100 ou 20 pour 100. Voilà pourquoi il est si important pour nous de combattre par les mêmes armes ce discours discriminateur qui avait envahi insensiblement les canaux d'information [159].

Dans ce texte, Harlem Désir indique que pour obtenir un « crime raciste » deux ingrédients sont indispensables : des conditions de vie dégradées et une propagande « d'extrême droite » faisant porter la responsabilité des problèmes ressentis par les habitants sur les immigrés. Il serait donc faux de penser qu'en 1985 les responsables de SOS ne sont susceptibles de tenir qu'un discours « purement moral » et qu'ils n'évoqueront les « problèmes des banlieues » qu'à la suite de la pression des mouvements « beurs » ou d'une évolution interne de l'association. Pourtant en 1985, SOS ne proposera à aucun moment une politique précise pour la rénovation des grands ensembles HLM comme il le fera en 1987. Entre 1985 et août 1987, SOS se limitera à associer une condamnation formelle des agressions « racistes » et des revendications d'ordre politique en demandant notamment le droit de vote aux élections locales pour les immigrés.
    Harlem Désir en appelle donc, avant tout, à une réprobation publique des attitudes racistes que rien ne doit excuser :

En toute circonstance le racisme est injustifiable. En somme, on ne doit pas trouver des excuses au racisme parce qu'il y a la crise, parce qu'il faut comprendre les gens qui sont excédés par le chômage qui les frappe, et qu'ils ont l'impression que ce phénomène frappe moins les immigrés, etc. Bref, moralement, sans préalable, il est important de dire “le racisme est inacceptable” car il est dangereux et que, très vite, il débouche sur la haine, la violence [160].

SOS semble concevoir l'antiracisme avant tout comme une campagne publique de persuasion où il peut être contre-productif de connaître les motivations des agressions « racistes » avant de les condamner. Il s'agit d'abord de délégitimer le « racisme » pour l'empêcher de se diffuser, de s'enraciner. En 1985, SOS n'entend pas mener un combat pour un programme et des revendications précises, pour la défense des immigrés ou pour « l'égalité des droits ». L'association conçoit plutôt le travail antiraciste comme une pédagogie et une intervention sur les idées. L'action que SOS entend mener est donc très différente de celle que préconisent les mouvements beurs plus revendicatifs, notamment en ce qui concerne les relations entre les « jeunes issus de l'immigration » et la police et les discriminations informelles (embauches, accès aux boîtes de nuit, etc.). SOS considère que les immigrés sont touchés par un racisme réel qui ne peut pas être résorbé par la seule satisfaction d'une série de revendications.

Je pense qu'il existe un vrai problème du racisme en France et qu'il ne suffit pas pour le combattre de crier : “égalité des droits” à tout bout de champ. On ne peut pas abolir ce racisme-là par décret ni par simple mesure égalitaire. Moi je crois plutôt à un travail à faire dans les mentalités. Voyez les Antillais ou les jeunes “beurs” français : ils ont théoriquement les mêmes droits que les métropolitains et pourtant ils souffrent du racisme [161].

Pour SOS en 1985 le racisme est un ensemble d'idées partagées par les « racistes » et non pas, comme en 1987, une relation sociale engendrée par la promiscuité et les conditions de vie dans les « cités ». Par conséquent l'action antiraciste doit aussi être avant tout fondée sur la délégitimation publique des idées « racistes ».

    

b) L'action antiraciste

SOS affirme vouloir établir la nocivité et la fausseté des « idées racistes ». Ce travail ne semble pas impossible ou improbable parce que le racisme est finalement décrit comme une idéologie faible, dont les arguments sont peu crédibles et cèdent vite face à une démonstration raisonnable. Il serait bien sûr préférable de faire de la prévention et d'agir dans les écoles lorsque les préjugés et les haines ne sont pas encore apparus, mais il importe aussi de faire diminuer le racisme actuel et pour cela il faut avant tout convaincre les « racistes » ou ceux qui sont menacés de le devenir.

Nous voulions nous adresser non pas aux convaincus, mais aux adversaires. leur dire : ne croyez pas ces mensonges, voyez les réalités de la vie de ceux que vous rejetez, cessez d'avoir peur, c'est de la peur que naissent la haine et la violence... [162].

En outre, le « raciste » tel que l'imagine et le présente SOS-Racisme dispose rarement d'une rationalisation construite de ses idées :

Depuis la station Monge son regard exaspéré passe du badge “touche pas à mon pote” épinglé comme d'habitude au revers de ma veste, à mon visage, évidemment trop basané à son goût. À la station Châtelet, il n'y tient plus. Beaucoup de gens étant descendus, nous pouvons enfin nous asseoir. Il s'installe en face de moi et m'apostrophe :
 – je ne suis pas du tout d'accord avec votre machin-là...
Moi tout sourire :
 – Ah bon ! Et pourquoi ça ?
 – Parce que je suis raciste.
 – Vous êtes raciste ? Mais alors, pourquoi m'adressez-vous la parole ? Les racistes pensent que les noirs sont des sous-hommes. Vous acceptez de parler à un sous-homme ?
 – Non, évidemment, je ne pense pas que vous êtes un sous-homme. Mais ma sœur s'est fait violer par trois noirs, alors...
 – Alors, pour vous, tous les noirs sont des violeurs et tous les viols sont commis par des noirs. Donc vous ne m'aimez pas parce que je suis un violeur ?
 – Non je ne dis pas ça. Mais il y a quand même beaucoup de cas.
Ah oui ? Vous avez des chiffres à me citer ? Des statistiques ?
 – Non, mais j'ai un voisin dont la collègue de bureau s'est fait agresser par des Noirs... Ou par des Arabes. C'est pareil. Il y en a plein les journaux de ces histoires-là. Ça suffit.
 – C'est vrai. Dans les journaux il y a parfois des titres du genre “Un Arabe  – ou un noir  – viole une jeune fille”. Avez-vous déjà un titre en gras comme “Un Blanc viole...” ? Dans ce cas là, on lit “Mlle X a été agressée par un ou des voyous...”. Vous ne trouvez pas ça étrange ? Silence. Puis mon interlocuteur hoche la tête :
 – C'est vrai. Là, vous avez raison...
Nous sommes descendus tous les deux de la rame à la station suivante pour continuer notre discussion autour d'un café. (...) Avais-je transformé un raciste primaire en antiraciste secondaire ? Sans doute pas, mais il avait fini par avouer que les choses étaient moins simples qu'il ne le pensait ce matin encore, avant de prendre son métro [163].

Cette anecdote montre un dialogue possible entre un « raciste » et un antiraciste. Nous ne nous prononcerons pas sur sa vraisemblance : ne nous intéresse ici, pour comprendre la logique du positionnement public de SOS, que la mise en scène de l'échange d'arguments par Harlem Désir. L'homme qui est présenté apparaît comme un « raciste modéré » : il ne croit pas à la hiérarchisation des races, dont Harlem Désir fait la doctrine de base du racisme et ne propose pas un racisme culturaliste ou différencialiste [164]. Son racisme n'est pas un mépris envers des « races inférieures » ; il se contente de ne pas aimer les noirs et les arabes. Cette détestation est présentée comme issue d'une « mauvaise interprétation » d'expériences que sa famille a vécues (viol de sa sœur), des propos tenus par son entourage ou d'informations lues dans la presse. Ce « raciste » généraliserait à tous les noirs et à tous les arabes les actes de quelques uns. Cette globalisation abusive dont la presse est également accusée, apparaît permise par la visibilité sociale forte des membres de certains groupes qui sont identifiés par leurs caractéristiques physiques ethniques alors que la population majoritaire ne l'est pas. Le racisme ne semble pas raisonné  – l'homme ne peut pas citer de « chiffres », de « statistiques objectives »  – mais plutôt fondé sur des exemples particuliers, sur une affectivité individuelle. L'anecdote n'attribue pas au « raciste » de heurts précis avec « les noirs » ou « les arabes » : il n'a jamais été personnellement mis en cause dans une relation conflictuelle avec des « noirs », même si le viol de sa sœur le touche directement.
    La description qu'Harlem Désir donne du « raciste » dans cette anecdote lui permet de justifier la stratégie de l'association. D'une part, le « raciste » semble prêt à discuter et à admettre les arguments de « l'antiraciste » : il est donc possible, par l'argumentation rationnelle, sinon de supprimer les préjugés racistes, du moins de les faire reculer. D'autre part, le viol de sa sœur n'aurait peut-être pas suffi à faire basculer cet homme dans « le racisme » : il aurait pu considérer que ces violeurs-là étaient noirs comme ils auraient pu être blancs. Mais il y a la rumeur publique qui tend à accuser les « arabes » et les « noirs » et ce qu'on peut lire dans les journaux. Les préjugés du « raciste » proviennent donc moins d'une expérience qu'il aurait éprouvée personnellement (par exemple une confrontation fréquente avec des actes de petite délinquance) que d'informations orientées et déformées, de rumeurs anti-immigrés et de la présentation partiale que font les journaux de certains faits divers. Le « racisme » [165], paraît donc plus dépendre d'un environnement idéologique hostile, d'une ambiance de dénigrement, d'amalgames, de lieux communs considérés comme vrais que de faits réels ou de situations de conflit [166]. Si les actes et les préjugés « racistes » sont issus de tous les propos quotidiens hostiles aux immigrés, on doit alors considérer que l'institutionnalisation et la généralisation des thèmes anti-immigrés conduisent à la banalisation des propos « racistes » puis des actes « racistes » et enfin des crimes « racistes ».

(...) Au Havre, (...) quatre lycéens de seize, dix-sept ans ont décidé un beau jour de “se payer un arabe”. Quatre jeunes qui ne sont pas organisés dans un parti fasciste ou d'extrême-droite, et qui, simplement, parce que c'est dans l'air du temps, parce qu'ils ont entendu un certain nombre de bêtises dans leur entourage, se sont permis un tel geste. (...) tout cela est très grave, car ça montre que ce n'est pas uniquement l'affaire d'un parti politique, qu'il suffirait d'isoler pour battre en brèche le racisme. Il y a une banalisation qui fait qu'aucune famille idéologique n'a été épargnée par ce climat [167].

Selon SOS, il apparaît que n'importe qui, de n'importe quelle « famille idéologique », et plus particulièrement un jeune, est exposé à une sorte de tentation du racisme. Il semble que certains, en entendant suffisamment de « bêtises »autour d'eux, risquent de « passer à l'acte » et a fortiori d'être entraînés à des paroles ou à des actes racistes. Il n'est donc pas nécessaire d'être embrigadé dans un mouvement extrémiste ou raciste, d'être entraîné par une structure politique formelle. SOS semble considérer qu'il suffirait de se laisser entraîner par la pente ordinaire de l'époque, par la rumeur générale, par un air du temps qui pousserait au racisme :

Malheureusement, il y a quelque chose dans l'air du temps qui fait qu'un certain nombre de gens se croient autorisés à passer à l'acte. Parce qu'il y a un terreau qui banalise le racisme. On peut s'attendre de plus en plus, s'il n'y a pas de réaction, à ce type de comportement et d'agression. (...) Je crois qu'il y a un réveil de gens qui se sont aperçus qu'ils n'avaient pas été assez fermes, qu'ils avaient laissé des verrous sauter, à droite comme à gauche. (...) S'il y a réveil, c'est qu'il y a état d'alerte, parce que c'est la première fois depuis la Libération que l'on peut s'afficher raciste [168].

Il semble aux responsables de SOS-Racisme qu'il n'est plus honteux d'être « raciste » et que certains peuvent l'avouer et même le revendiquer. Cette « relégitimisation » du « racisme » rend possible l'apparition d'attitudes « racistes » chez beaucoup plus d'individus qu'auparavant et un approfondissement de ce « racisme » chez ceux qui étaient déjà touchés. Cette banalisation est présentée comme un effet purement mécanique de la diffusion d'une idéologie ouvertement raciste par des groupes et des partis politiques (le Front national, mais aussi certaines fractions de la « droite classique »). Il semble donc suffire que le discours « raciste » soit diffusé pour qu'une partie de ceux qui l'entendent adopte des positions « racistes ».

Le discours anti-immigrés est venu de l'extérieur et a contaminé les cités. On part du présupposé idiot que les immigrés ont nécessairement des problèmes et qu'ils les font payer aux autochtones. En fait le problème, le vrai, est le chômage qui frappe les jeunes, Français comme immigrés, qui tournent en rond et finissent par sombrer dans la délinquance. Je ne crois pas qu'il soit fatal que le racisme se développe en temps de crise. Nous faisons à “S.O.S. Racisme” le pari inverse [169].

L'association désignera en 1987 le « chômage » comme la source des tensions « xénophobes » ; toutefois, en 1985, SOS n'en fait pas la cause principale de la montée du « racisme » puisqu'elle « ne croit pas qu'il soit fatal que le racisme se développe en temps de crise ». Les réactions « racistes » et « anti-immigrés » ne sont pas issues des relations sociales ordinaires dans les « quartiers difficiles » mais proviennent de l'extérieur. Il a fallu que les cités soient « contaminées » pour qu'elles deviennent « racistes ». La cause principale de la propagation des crimes et des actes « racistes » est donc bien le discours tenu par les partis « d'extrême droite » qui présente les immigrés comme des boucs-émissaires. Mais, outre la diffusion de ces idées, c'est l'absence de réaction, de sursaut moral de la part de ceux qui étaient sensés lutter contre le racisme (associations ou partis politiques) qui est à l'origine de la diffusion du « racisme ». L'association semble considérer que s'ils avaient réagi, s'ils avaient maintenu les « verrous » fermés, les idées « racistes » n'auraient pu s'implanter.

Pour une partie de l'opinion publique le racisme est malheureusement devenu une opinion comme une autre, équivalente à son contraire et qu'on pourrait choisir comme on choisit d'être de droite ou de gauche. On a perdu de vue qu'il s'agit d'une idéologie honteuse, de haine débouchant sur l'abomination. Il y a eu quelque part démission des autorités morales, chargées de préserver certaines valeurs ; (...). Tout cela, directement ou indirectement, a accrédité l'idée selon laquelle les immigrés seraient responsables des difficultés vécues. Il faut donc rappeler avec force qu'en aucune circonstance le racisme ne peut être excusable [170].

Cette conception du « racisme » comme une « montée des eaux » qu'il faudrait endiguer, comme une poussée contre une porte qu'il conviendrait de maintenir fermée et bien verrouillée, ou comme une épidémie contre laquelle il serait nécessaire de faire des « piqûres de rappel » de raison et d'antiracisme, justifie l'action de SOS-Racisme durant l'année 1985. Le « racisme » y est considéré comme un système idéologique susceptible de s'implanter chez certains et d'y déclencher des attitudes « racistes ». Il est donc nécessaire pour le combattre de se situer sur le terrain de la parole, des idées, de la morale, et donc en particulier sur le terrain médiatique [171]. Alors que certaines associations « beurs » font grief à SOS de ne pas être « sur le terrain », c'est-à-dire de ne pas situer son action au niveau où l'on observe les manifestations de « racisme », les fondateurs de SOS agissent au contraire là où, selon leur conception du « racisme », une action peut être efficace. La campagne d'opinion, l'appel à des artistes, à des parrains, à des personnalités morales, à des hommes politiques de tous les partis sont sensés permettre la reconstitution du barrage moral contre le « racisme ». L'association entend culpabiliser les « racistes » et rétablir le caractère honteux et inavouable du « racisme », en rendant l'antiracisme « à la mode », c'est-à-dire valorisant pour ceux qui l'affichent. Le badge, en permettant ainsi à chacun de s'afficher antiraciste, vise à replacer l'antiracisme dans la position de l'idéologie « normale » et dominante et le « racisme » dans celle de la pensée refoulée. La lutte antiraciste peut parfaitement être menée par une association pour peu qu'elle soit relayée par les médias.

Nous sommes surtout un groupe d'interpellation, à gauche comme à droite, un mouvement d'opinion. (...) La réussite nécessite de s'appuyer sur le mouvement d'opinion le plus large possible. On nous a reproché de trop jouer la carte des médias, mais notre action n'a de sens que si ce mouvement passe aussi par la puissance médiatique [172].

Si politiquement l'ensemble des partis « non-racistes » doivent maintenir en quarantaine « Le Front national [qui] est un parti qui transporte des idées racistes » [173], l'antiracisme tel qu'il est conçu par le premier discours de l'association n'appelle pas d'action particulière des pouvoirs publics puisqu'ils ne sont sans doute pas les mieux placés pour mener une campagne d'opinion.

Cette semaine sanglante [174] a remis les pendules à l'heure. Oui, SOS existait sur le terrain. Oui, SOS avait raison de se frayer un chemin jusqu'aux médias nationaux. D'abord pour donner la parole à ceux qui ne l'ont jamais, afin que l'écho de leurs cris vienne enfin troubler la paisible bonne conscience de ces “français innocents” chers à M. Barre. Mais aussi parce que le discours, les thèmes, les accusations racistes, avaient eux, depuis longtemps, accès à la presse, à la télé, à la radio. “Dehors les immigrés”, nous avions déjà entendu ça durant les années soixante-dix. Mais ces vociférations ne sortaient guère alors du huis clos de la faculté d'Assas et des meetings néo-nazis à la Mutualité. En dix ans, ce discours s'était tellement banalisé qu'aux municipales de 83 on vit ainsi se développer un étrange thème de campagne sur les “quotas d'immigrés” que les élus s'engageaient à respecter dans leur ville pour ne pas en troubler l'harmonie. 10 pour cent disait l'un, 12 pour 100 disait l'autre .
(...) Entassez trois mille familles dans des cités-dortoirs aux murs de papier mâché, sans espaces verts ni distractions à proximité, laissez l'environnement se dégrader, les tenants de l'extrême droite parler à la télévision, et vous êtes sûrs d'obtenir un bon crime raciste, que les immigrés soient 5 pour 100, 10 pour 100 ou 20 pour 100. Voilà pourquoi il est si important pour nous de combattre par les mêmes armes ce discours discriminateur qui avait envahi insensiblement les canaux d'information [175].

Dans cette perspective, il semble logique que les actions menées par les responsables de l'association soient principalement « symboliques » et « médiatiques ». La campagne du badge doit mettre en position d'accusés le Front national et ceux qui font alliance avec lui ; les mobilisations consécutives aux « crimes racistes » doivent manifester l'indignation et le scandale, et les concerts montrer qu'il est possible de rassembler les jeunes de toutes origines. Les premières actions des fondateurs de l'association sont donc en adéquation avec la théorie du racisme qu'ils affichent alors. Il n'est cependant pas étonnant qu'ils entrent rapidement en conflit avec certaines associations « beurs » dont la lutte contre le « racisme » n'est pas le principal objectif et qui demandent au contraire la satisfaction d'un ensemble de revendications.
    L'insistance de SOS sur la lutte idéologique contre le racisme et le Front national s'explique à notre avis par plusieurs facteurs. D'une part, l'action militante, qui tend à diviser les gens en militants convaincus, adversaires politiques et masse de manœuvre susceptible d'être enrôlée, conduit naturellement à insister sur la dimension discursive de l'action politique et à prendre au sérieux les échanges idéologiques des organisations. D'autre part, les responsables de SOS ne veulent pas que l'analyse des causes sociales des tensions dans les quartiers atténue l'indignation et la condamnation morale des « crimes racistes » qu'ils cherchent à exploiter ; en outre, ils ne souhaitent pas que l'étiologie du racisme débouche sur une condamnation de la politique des gouvernements de gauche depuis 1981 en matière de logement social, d'accession à la propriété et de désenclavement des banlieues, mise en cause qui indisposerait leurs soutiens politiques ; enfin ils craignent qu'une image « revendicative » ne rende l'association moins attractive pour les médias, en la faisant apparaître comme plus identifiable politiquement, plus traditionnelle et plus « ennuyeuse ». Notre hypothèse est donc que les porte-parole de l'association ont, entre 1985 et août 1987, délibérément écarté toute allusion trop marquée aux processus d'engendrement du racisme pour ne pas donner un aspect revendicatif à leur démarche.

    

c) Le « différencialisme » de SOS-Racisme

En 1985, Harlem Désir déclare se réjouir de l'avènement d'une société « multiraciale », « multiculturelle », « multiconfessionnelle » et « multicolore ». Cette thématique n'avait pas alors suscité d'opposition marquée sauf chez les associations « beurs » [176], mais à partir de 1989, certains adversaires de l'association lui reprocheront d'avoir adopté des positions « différencialistes » c'est à dire d'avoir prôné la coexistence, au sein de la société française, de « communautés » constituées, conservant leurs traditions et leurs coutumes propres, ce dont Harlem Désir s'est toujours défendu. Le procès qui sera fait à l'association à partir de 1989, en particulier après « l'affaire des foulards », sera l'occasion d'une relecture critique de ses prises de positions antérieures. Il s'agira pour les adversaires de SOS de montrer que l'association se situe en dehors de la « tradition républicaine » de l'intégration et défend avec le « droit à la différence » une conception anglo-saxonne de la citoyenneté passant par le maintien des communautés d'origine [177].
    Si SOS préconise clairement à partir de 1987 l'assimilation progressive des populations immigrées, il paraît beaucoup plus ambigu en 1985, en partie parce que, ce thème ne faisant pas l'objet d'une polémique publique, l'association n'a pas eu à préciser sa position. À partir de 1989 les critiques sur le « différencialisme » de SOS obligeront les responsables de l'association à réinterpréter leurs déclarations passées et à préciser ce que signifiaient les termes de « multiracial » et de « multiculturel ». Il ne s'agit pas ici de trancher une polémique entre les acteurs pour définir ce qu'était le véritable discours de SOS, mais de montrer que si l'association a profondément modifié son diagnostique public sur les causes du « racisme » et donc sur les moyens de le combattre, ses prises de position pour l'intégration progressive des populations immigrées n'ont pas varié, à quelques inflexions tactiques près.

La France multiculturelle, multiconfessionnelle, multicolore, n'est pas un but pour lequel nous militons, c'est une réalité que rien ne sert de nier. Si l'association et le badge ont provoqué tant de réactions virulentes, c'est qu'ils contraignaient une partie de la société française à se voir telle qu'elle est. Malade. Malade de vieillesse et de peur. Une société qui se ferme aux autres, aux apports extérieurs qui, à travers les siècles, l'ont toujours enrichie, contrainte à évoluer, est une société moribonde [178].

La « France multiculturelle » est-elle une société dans laquelle cohabitent durablement plusieurs cultures d'origines différentes ? La « France multicolore » est-elle la juxtaposition de communautés ethniques qui ne se mélangent pas ? La « France multiconfessionnelle » est-elle compatible avec les « valeurs républicaines de laïcité » ? Les porte-parole de SOS ne définissent jamais précisément le contenu des termes de « multiculturalité », « multiracialité », « multiconfessionnalité », pas plus que la durée des phénomènes qu'ils désignent. Ils ont été interprétés par SOS selon un modèle « intégrationiste » et par ses adversaires selon un modèle « communautaire ». Dans le second cas, la France deviendrait une juxtaposition de « communautés » qui chacune garderait en partie sa langue, sa culture, sa religion et sa « couleur » ; dans le premier, les individus issus de peuples différents se fondraient dans la nation française, soit en s'y intégrant totalement, soit en conservant quelques éléments de culture originelle « francisés » et, éventuellement, leur religion. Notre propos n'est pas pour l'instant de déterminer quelle est la pertinence de ces « modèles » ni quels sont leurs usages sociaux. Nous allons avant tout essayer de définir la position de l'association en 1985 par rapport à cette opposition qui à l'époque ne structurait encore que partiellement le débat public et journalistique sur l'immigration.
    En ce qui concerne la réalité de la France multiconfessionnelle et multicolore le propos d'Harlem Désir paraît descriptif : il y a en France de nombreux immigrés d'origine africaine et de religion islamique, et leurs enfants ont pour la plupart la nationalité française. Si la « multiculturalité » désigne la présence en France d'habitants pour qui la « culture française » n'est pas la culture maternelle, alors ce terme exprime également un état de fait. Si au contraire le mot « multiculturel » signifie que les membres de chaque « groupe national » peuvent vivre selon leurs coutumes nationales et dans leur propre langue, selon un « modèle » qui est, dans la presse, couramment appelé « anglo-saxon » ou « américain », on peut difficilement considérer que la France connaît une situation de « multiculturalité ». La difficulté est donc de déterminer ce que les responsables de SOS entendaient alors par le terme de « multiculturel », même si le caractère flou des discours de mobilisation est justement l'une de leurs caractéristiques efficaces.

Dans le texte cité plus haut, l'immigration africaine est présentée comme semblable à tous les autres « apports extérieurs, qui à travers les siècles (...) ont toujours enrichi » la France. Elle n'est pas conçue différemment des immigrations italiennes ou polonaises de la première moitié du siècle qui sont souvent citées comme des exemples d'assimilations réussies. SOS semble donc considérer que l'immigration contemporaine deviendra, à plus ou moins long terme, indiscernable du reste de la population, comme les immigrations qui « à travers les siècles » ont « enrichi » la France. Le terme « d'assimilation » lui-même n'est assumé par Harlem Désir qu'une seule fois en 1985 : « Notre démarche première a été une envie de partir de ce que chacun de nous vivait autour de lui pour démontrer que l'assimilation est possible, que la multiracialité est vécue parfois positivement » [179]. Il est ensuite abandonné parce que les fondateurs de SOS-Racisme cherchent à se concilier les associations « beurs » qui ne sont pas favorables à la perspective d'une pure et simple « assimilation » de l'immigration maghrébine [180]. Mais en 1985, la « multiracialité » et la « multiculturalité » ne sont pas, selon SOS, contradictoires avec « l'intégration ».

Il faut inciter les gens à accepter des réalités sur lesquelles on ne pourra plus revenir. Pour notre génération par exemple, il est de notre responsabilité de montrer la richesse des rapports que nous entretenons avec des jeunes qui viennent d'ailleurs » [181].
    « Plutôt que de mener des combats d'arrière-garde à propos de leur hypothétique départ, ceux qui leur contestent encore ce droit à la parole dans leurs terres d'adoption, feraient mieux d'admettre l'évidence : la majorité resteront là où ils ont trouvé du travail. Et c'est d'ailleurs ainsi que s'est, au fil des siècles, constituée l'Europe d'aujourd'hui. La société multiculturelle est une force et une richesse pour ceux qui savent, non seulement l'accepter, mais en tirer la substantifique moelle [182].

L'immigration est destinée à rester en France et à s'insérer dans une « société multiculturelle ». Mais cette « société multiculturelle » n'apparaît en rien différente de celle qui s'est constituée en Europe depuis « des siècles ». Les populations immigrées semblent donc avoir pour perspective leur « intégration » à la culture des Etats-nations européens. On pourrait certes penser que la « multiculture » pourrait être conçue plus comme l'addition de pratiques particulières que comme la conversion des derniers arrivants à la culture locale. Mais ce n'est pas cette variante forte de la « multiculturalité » qu'évoquent les discours des porte-parole de l'association ; il ne s'agit pas de maintenir sur une longue durée la culture des immigrés et en particulier leur langue, mais de faire coexister plus ou moins temporairement des éléments « folklorisés » des traditions culturelles des pays d'émigration :

Il y a certes des réalités communautaires et la nécessité pour chaque communauté issue de l'immigration d'avoir ses propres structures et de développer ses aspirations mais il existe aussi une autre réalité. À savoir que les contours sont devenus plus flous pour des générations qui ont grandi dans les mêmes cités, les mêmes écoles et écoutent les mêmes musiques, souvent elles-mêmes expression de métissage [183].

Les jeunes de « communautés » différentes scolarisés dans les mêmes établissements tendent à se rapprocher dans une culture commune, où l'influence de la musique noire américaine ou africaine, représente l'élément le plus métissé et le seul qui contrebalance une forte francisation.

C'est bien de vivre avec des étrangers, ça fait voyager sur place et c'est une richesse sociale. Il ne faut pas seulement se lamenter. C'est, je crois, à cette démarche qu'ont été sensibles les lycéens par exemple. La société multicolore ils la vivent ici et maintenant [184].

La « France multiculturelle » présentée par Harlem Désir n'est donc nullement une France des communautés séparées ou une France « multilinguistique ». Elle se résume ici à la possibilité pour la jeunesse de pouvoir apprécier des produits culturels du monde entier. Le caractère « multiculturel » de la société proposée par SOS ressemble fort à l'assimilation plus le « couscous et le Raï » [185]. Harlem Désir souligne plusieurs fois que les jeunes vivent déjà dans la « société panraciale », « multicolore » ou « multiculturelle », qu'il s'agit d'une « réalité que rien ne sert de nier », que le « métissage » s'est déjà opéré. Cela signifie que la perspective proposée par les fondateurs de SOS pour l'immigration et la société française n'est finalement pas très éloignée de la société de 1985 ou des années quatre-vingt-dix, les « problèmes de racisme » en moins. En utilisant le terme « multiculturel » Harlem Désir ne demande pas une politique d'aide au maintien des cultures et des langues des pays d'origine des immigrés, mais seulement une plus grande tolérance envers les particularités, conçues comme provisoires, des jeunes « issus de l'immigration ».

Parce que ce racisme-là est l'expression d'un repli, d'un réflexe de peur face à l'autre, à une manière de vivre, de s'exprimer, d'appréhender la réalité, différente de celle admise par les faiseurs de normes. Or ces jeunes rejettent ces normes. La différence est leur univers. Ils n'ont pas peur de cette “société panraciale” dénoncée par Le Figaro, parce qu'ils y vivent déjà [186].
    « La fête fera la démonstration grandeur nature que la France multiculturelle n'est pas une utopie. D'abord sur le plateau il y aura des artistes représentatifs de toutes les cultures auxquelles s'identifie la jeunesse française. La musique africaine, maghrébine, américaine, anglaise, française, de variétés, de jazz, etc. Ce sera une démonstration du grand métissage qui s'est opéré. » [187]

Si le « métissage s'est déjà opéré », il s'est produit essentiellement au bénéfice de la culture du pays d'accueil. L'association ne prône donc nullement le maintien de communautés nettement identifiables, ne fusse que pour que le mélange puisse durer. Elle ne propose pas de défendre les particularités culturelles des immigrés ; le « mélange » ou le « métissage » des cultures apparaissent comme définitivement réalisés au sein d'une jeunesse « immigrée de la deuxième génération » qui souvent ne parle pas la langue des parents. Ce serait donc une erreur de faire de SOS à ses débuts un défenseur du « droit à la différence » car si « la différence » est décrite comme faisant partie de l'univers des jeunes, il s'agit de différences mineures qui ne remettent pas en cause l'assimilation rapide des enfants des immigrés à la langue et à la « culture française ». L'utilisation par l'association du thème du métissage, du mélange des cultures et des races est donc, dès 1985, plutôt assimilationniste. Harlem Désir marque clairement le souci de l'association de prôner l'éloignement des « communautés d'origine » :

C'est évident que dans une phase de montée du racisme et de rejet par une partie de la population française, il y a un repli réactif des immigrés. Ce n'est pas notre logique à nous, qui nous sommes appuyés, pour fonder l'association, sur ce que nous avions vécu en région parisienne plutôt que sur nos communautés d'origine, mais je pense qu'il n'y a pas de contradiction entre les gens de la Marche des “beurs” 1983 et nous [188].

Quelques années plus tard, certains critiqueront les dirigeants de SOS pour avoir défendu durant leurs premières années d'existence le « droit à la différence ». Il semble au contraire que le premier discours que tient l'association est celui du « mélange » selon une logique clairement « assimilationiste ».
    On trouve cependant quelques rares propos équivoques qu'il serait possible d'interpréter comme « communautaristes » :

Le propre d'une société laïque ce n'est pas d'être assimilationniste, c'est de préserver la liberté de conscience, de religion et de culture, pour en revenir aux définitions de base [189].

S'agit-il d'une défense des « cultures communautaires » face à « l'assimilation » à la société française ? Sous couvert de reprendre la lettre du « principe de laïcité », règle de conduite officielle des gouvernements vis-à-vis des majorités ou des minorités religieuses, il s'agit là surtout d'une concession terminologique au « mouvement beur » qui refuse le terme « d'assimilation ». Sur le fond, si les responsables de SOS défendent la « liberté [...] de religion et de culture » c'est parce qu'ils constatent déjà une forte convergence entre les jeunes « issus de l'immigration » et les jeunes « français de souche » qu'il serait maladroit de redoubler par une injonction officielle à l'assimilation qui ne pourrait qu'induire un repli identitaire [190]. Plus ambigus sont les commentaires fait par Harlem Désir à la suite du voyage de militants de SOS dans des pays d'Europe du Nord pour souligner les différences d'attitude vis-à-vis des immigrés entre les Pays-Bas et l'Allemagne :

Priorité à la lutte contre le racisme à Amsterdam, et ce n'était pas une vaine promesse : fermeture des établissements pratiquant une ségrégation raciale, annulation des contrats municipaux passés avec des entreprises dont les pratiques sont notoirement discriminatoires, embauche d'immigrés dans l'administration et même dans la police » [191].
    « L'Allemagne fut moins accueillante, du moins sur le plan officiel. Des camarades turcs décrivirent les expulsions brutales qui avaient touché, ces dernières années, des dizaines de milliers d'entre eux, y compris des familles installées depuis des années. “Soyez allemands ou rentrez chez vous”, rengaine connue, des deux côtés du Rhin [192].

SOS défend-t-il ici le droit des immigrés de rester indéfiniment turcs ou arabes en Europe, c'est-à-dire le « droit à la différence », le droit pour chaque « communauté » immigrée de perdurer dans son identité et sa culture sur le sol français ? Entre février 1985 et mars 1986 et a fortiori au-delà, on ne peut trouver aucun texte dans lequel SOS citerait le « droit à la différence » ou s'en réclamerait. Ce n'est pas seulement parce que le terme n'était pas encore au centre des polémiques sur l'immigration. La notion de « droit à la différence » était critiquée au sein même de la mouvance « beur » [193]. Les fondateurs de SOS ne tenaient nullement à se prononcer publiquement sur une question sur laquelle ils ne pouvaient qu'être critiqués par les associations « beurs » ou par certains partis politiques. Les propos ambigus cités ci-dessus ne doivent pas être interprétés comme une prise de position en faveur du « droit à la différence » ou du « communautarisme », mais plutôt comme un effort pour ne pas se prononcer trop clairement sur la question du « droit à la différence », tout en refusant absolument d'employer le terme « d'assimilation » et toute forme de discours contenant des injonctions à la conformité. Si on relève une certaine discontinuité entre le discours tenu entre février et juin 1985 et celui utilisé à l'automne 1985, c'est pour permettre l'entrée à SOS de Kaïssa Titous et de personnalités issues du « mouvement beur » et pour favoriser, lors de la « troisième marche » de novembre 1985, un rapprochement avec les associations « beurs » qui remettaient en cause la légitimité [194] de l'association. Le terme de « communauté » entre ainsi dans le lexique reconnu par SOS. Si l'association se revendique toujours comme un « mouvement intercommunautaire », elle admet que les immigrés puissent exprimer des revendications en tant que « communauté ».

SOS-Racisme ne s'appelle pas SOS-immigration et nous n'avons pas la prétention de nous exprimer à la place des communautés immigrées. Nous voulons traduire la volonté, pour les nouvelles générations immigrées ou françaises, de toutes origines, de prendre la parole et d'intervenir collectivement dans le débat public sur la place des immigrés, les différences, la multiculturalité dans la société française d'aujourd'hui et de demain. D'où notre spécificité par rapport aux autres associations. (...) Nous sommes, en outre, un mouvement intercommunautaire, ce qui correspond à la façon dont les jeunes vivent aujourd'hui la solidarité. C'est-à-dire, non pas d'un côté des Français bien-pensants humanistes, devant aider des immigrés qui, de leur côté, s'organisent tout seuls dans leur ghetto culturel en subissant toutes les agressions [195].

Les responsables de SOS ne critiquent pas le processus d'intégration des populations immigrées mais les pressions les plus brutales à « l'assimilation » [196]. Si l'utilisation des thèmes de la « société multiculturelle », du « mélange » et du « métissage » est bien conçue dans un sens « assimilationniste » pour décrire la ressemblance de plus en plus forte entre les enfants des immigrés et le reste de la jeunesse française, les dirigeants de SOS s'opposent toutefois à ceux qui prononcent des injonctions à « l'assimilation » [197].
    L'association estime que l'insertion des immigrés dans la société française est un processus lent qu'il n'est pas réaliste de vouloir hâter en plaçant les « beurs » dans l'obligation de devoir faire un choix entre la fidélité à leurs parents et « l'intégration » à la société française [198]. SOS juge ainsi illusoire d'exiger « l'assimilation » des immigrés de la première génération qui n'abandonneront jamais toutes leurs particularités culturelles. Puisqu'il est impossible de les renvoyer « chez eux », SOS considère qu'il est donc nécessaire de vivre avec eux en bonne intelligence, c'est-à-dire en respectant leur religion et leurs particularités culturelles.

&Evidemment, du fait que les communautés immigrées sont les principales victimes du racisme, nous sommes amenés dans notre action à relayer et à amplifier leurs revendications sans nous substituer à elles. Et quand, par exemple, nous insistons sur l'importance du droit de vote aux élections locales, nous prenons surtout en compte les revendications des immigrés de la première génération, puisque les enfants de la seconde génération possèdent déjà ce droit de vote... C'est d'autant plus important pour les jeunes issus de l'immigration qu'ils ne veulent pas avoir à faire un choix déchirant, ou de reniement, entre leur propre statut  – de ceux qui ont accédé à la nationalité française  – et celui de leurs parents qui reste ségrégatif puisque dépourvu de droits civils. Il est important que l'insertion des jeunes immigrés puisse se faire du même pas que celle de leurs parents [199].

Les prises de position les plus « communautaristes » de SOS concernent donc les « immigrés de la première génération ». En revanche, pour les « jeunes issus de l'immigration », le discours « pluriculturel » de l'association a toujours été celui du « mélange » et du « métissage » entendu selon un sens « non communautaire » et « intégrationniste ». Cependant, les responsables de SOS, en partie pour ne pas se couper des associations immigrées et des autres organisations antiracistes, refusent de disjoindre la question de l'intégration des « beurs » de celle de leurs parents bien qu'ils aient des statuts juridiques différents. Le droit de vote des immigrés aux élections locales qui est une revendication de l'ensemble des associations « beurs » a été reprise et défendue par SOS-Racisme depuis sa création. L'association considère qu'il permettrait de les soustraire aux enjeux de l'élection en les faisant passer du statut de « problème immigré dans la commune » à celui d'électeurs à convaincre. En outre, SOS indique que si « l'insertion » des immigrés de la première génération ne peut pas être du même ordre que celle de leurs enfants, elles ne doivent pas être entreprises indépendamment l'une de l'autre : il n'est pas concevable de vouloir « intégrer » les jeunes de « la seconde génération immigrée » en rejetant leurs parents.
    Les déclarations de SOS qui seront ultérieurement considérées comme « communautaristes » représentent donc aussi une réponse aux critiques des associations « beurs » et une tentative pour concilier certaines de leurs revendications concernant la première génération immigrée avec les contraintes du « discours républicain » assimilationniste, dominant dans les principaux partis politiques et parmi les journalistes qui constituent les interlocuteurs de l'association. Lorsque SOS préconisera une « intégration » progressive qui n'induirait pas de déchirement et de rupture entre la culture et les pratiques des parents et celles de leurs enfants qui se rapprocheraient progressivement, par « mélange », « métissage » et « multiculture » de la « jeunesse française » elle-même en évolution [200], il se trouvera critiqué à la fois par les mouvements « beurs » qui lui reprocheront d'être trop assimilationniste et par des hommes politiques  – souvent de gauche [201]  – qui l'accuseront de défendre le maintien des caractéristiques culturelles des immigrés et de leurs enfants [202]. SOS-Racisme ne défend donc pas entre 1985 et 1987 le « droit à la différence » ou la faculté pour les « communautés » de conserver en France leurs pratiques culturelles, religieuses ou populaires. En fait, si sur les questions d'urbanisme, SOS préconise une politique de réduction des occasions de « tensions racistes », en matière d'intégration culturelle il propose plutôt de laisser faire le cours normal des choses pour aboutir, au terme d'une évolution naturelle qui se serait déjà produite pour les immigrations précédentes, à une « assimilation » à la population française. En ce sens, la position de SOS sur l'avenir des populations d'origine immigrée en France n'a pas réellement changé entre 1985 et 1992 même si les formulations ont évolué au gré des nécessités tactiques. Toutefois, il faut souligner que SOS ne sera pas mis en cause pour le « différencialisme » de ses thèmes en 1985 lorsqu'Harlem Désir tient le discours le plus proche de celui des associations « beurs », mais seulement après 1988, lorsque les soutiens politiques et médiatiques de l'association se seront érodés et que beaucoup d'acteurs auront intérêt à instruire son procès. Les termes de « multiculturel » ou « pluriculturel » qui seront ultérieurement retenus contre l'association dans leur acception la plus « différencialiste » étaient d'ailleurs des notions courament utilisées dans la presse en 1985 sans qu'il leur soit attribuer le sens anti-assimilationiste que le débat sur « l'affaire du foulard » contribuera à leur donner [203].

3) Le discours de 1990

            Le diagnostique

Entre 1987 et 1990 les propositions et les thèmes publiquement défendus par SOS évoluent peu. Les plus graves émeutes urbaines n'ont pas encore eu lieu mais SOS-Racisme continue à organiser son discours à partir du thème de « l'intégration » des populations immigrées. SOS voit toujours deux causes principales au développement du « racisme » : des conditions de vie et d'habitat dégradées et un échec scolaire massif des enfants d'immigrés qui tendent à les condamner au chômage et à la marginalité sociale. L'association critique en particulier les « cités » construites durant les années soixante et soixante-dix, qui avaient alors représenté un progrès par rapport aux bidonvilles, mais qui, aujourd'hui, concentrent les problèmes.

Les deux facteurs principaux de l'enlisement des grands ensembles sont connus. D'une part, depuis 1974, les politiques publiques de logement ont favorisé l'habitat pavillonnaire périurbain. La composition sociologique du parc du logement social s'en est trouvée déséquilibrée. D'autre part la régulation actuelle par le marché du secteur du logement est dans une spirale spéculative telle qu'elle a pour conséquence les énormes disparités et ségrégations spatiales actuelles. [204].

Les populations immigrées se trouvent concentrées dans ces grands ensembles peu confortables, isolés du reste de la ville et engendrant l'ennui, l'échec scolaire, le chômage, la délinquance et, par conséquent, les tensions « racistes ». Le catalogue de mesures et d'initiatives que propose SOS pour le congrès de Longjumeau comprend trois axes : une politique de la ville, une politique du logement et une politique scolaire.

    

a) la politique de la ville

Le « tissu urbain » en banlieue est trop dispersé et segmenté en quartiers, cités et grands ensembles qui tendent à se transformer en ghettos par le regroupement en leur sein des populations les plus défavorisées et en particulier des immigrés. Les offices de HLM et les autorités municipales sont d'ailleurs en partie responsables du regroupement des immigrés dans les cités les plus dégradées. Les transports en commun n'arrivent plus, les services publics sont absents et la concentration de ceux qui sont culturellement les plus défavorisés conduit à l'échec scolaire et à la délinquance.

Les “belles cités” des années soixante, construites dans l'urgence et où ne restent que ceux qui n'ont pas le choix, les Français les plus pauvres, les familles nombreuses et les immigrés, se sont vite dégradées. (...) Les équipements publics, écoles, crèches, transports en commun, ont été réduits au minimum. L'initiative privée n'a pu se substituer à ces défaillances et, contrairement aux idées reçues, la densité y est trop faible pour le commerce. (...) Et c'est facilement, fatalement presque, que s'y est installé le cycle infernal de l'échec scolaire qui mène du chômage à la délinquance [205].

La réhabilitation des cités et des grands ensembles est, certes, indispensable. Pourtant,

Les réhabilitations des cités ne suffisent plus. Elles ont été utiles et doivent continuer mais ne changent pas la nature profonde de ces mal-vivre. La cité, quand elle devient ghetto, zone de non-urbanité, devient par là même une zone de non-citoyenneté [206].

En effet, la réhabilitation ne résout pas les principaux problèmes qui se posent aux habitants des cités : le chômage et l'éloignement du centre ville qui induisent des effets très négatifs.

L'isolement des cités empêche toute velléité de déplacement, assignant à résidence des populations qui ne peuvent espérer vivre ailleurs ni ne peuvent se projeter dans un avenir meilleur. Mais la ville, en se refusant ce flux et cet échange, s'ampute elle-même [207].

SOS-Racisme considère qu'il est nécessaire de concevoir une autre politique de la ville. Il faut envisager autre chose que les grands ensembles HLM, il faut réinventer un tissu urbain plus continu et plus homogène, qui ne redouble pas l'exclusion sociale et ethnique par une exclusion spatiale.

Une forte concentration de population étrangère n'a pas les mêmes conséquences dans un quartier qui vit au cœur de la cité, en échange permanent avec elle, que dans un grand ensemble débarqué de la banlieue. C'est toute la différence entre Belleville et les Bosquets de Montfermeil, entre l'échange et l'enfermement. C'est bien souvent en détruisant les premiers sous prétexte de les rénover qu'on précipite les populations dans les seconds, créant les conditions des drames [208].

SOS refuse d'avaliser une quelconque politique de quota qui légitimerait la notion de « seuil de tolérance » et ferait des immigrés un problème en soi. Pourtant, l'association propose la disparition progressive des cités périphériques et le relogement de leurs habitants dans le centre-ville, ce qui aurait pour conséquence la dilution des populations immigrées qui habitent ces quartiers dans l'ensemble de la ville. Il s'agit tout à la fois d'améliorer l'habitat et de reconcentrer la ville.

Il convient de demander à chaque commune de faire un plan de densification, d'embellissement et de désenclavement sur son territoire, complément de son plan d'occupation des sols, qui soit approuvé ou visé par la préfecture, le conseil général et indique un phasage pluriannuel. Un tel document devra faire état de la politique de logement social au centre-ville, pendant de réhabilitation de la cité ou des cités [209].

Les obstacles d'une telle « politique d'intégration » sont d'une part le manque de détermination des pouvoirs publics mais aussi la dispersion des centres de décisions qui doivent la mettre en œuvre. Les maires, les offices HLM, les différents ministères (celui du logement, celui de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, celui des affaires sociales), la Délégation interministérielle à la ville (DIV), les conseils généraux, la région, etc.

La descente de la décision à l'opérationalité des projets s'englue dans une mélasse de plus en plus visqueuse. Il n'est pas faux de parler de blocage. (...) Entre faire et faire faire, la volonté se disperse, l'efficacité s'émousse [210].

Pour SOS, il est donc nécessaire que l'aménagement de la banlieue soit replacée dans un plan national qui donne une plus grande cohérence aux diverses initiatives éparses qui se manifestent. L'association défend donc la création d'un ministère de l'intégration, « seul moyen d'obtenir une ligne budgétaire supplémentaire et un suivi des dossiers » [211] et l'instauration d'une politique de la ville permettant d'agir sur les conditions de vie dans les 440 « quartiers en difficulté » recensés par la DIV.

    

b) la politique du logement

L'association n'a guère confiance dans les élus locaux soupçonnés de bloquer l'application d'une politique de la ville nationale pour des raisons électorales selon la logique du « pas de ça dans ma commune ».

Dans les mécaniques municipales, la situation, dès lors que les communes sont maîtres d'œuvre, est encore pire. L'argent tourne en rond et la déperdition est telle qu'une mesure de l'efficacité irait jusqu'à établir un rapport de 1 à 100. Les processus de décentralisation des attributions aboutissent à des phénomènes ubuesques. La décentralisation a créé des baronnies dirigées par de tels potentats que les préfets abandonnent la charge des phases opérationnelles aux maires dont l'électoralisme le plus plat favorise un immobilisme non avoué. (...) Alors que le discours est cohérent au niveau national, sur le terrain, là où les points noirs sont bel et bien identifiés, les projets n'aboutissent à rien de concret [212].

L'association ne pense pas seulement au maire de Montfermeil, accusé de jouer sur l'antagonisme entre la cité des Bosquets et le reste de la ville pour assurer sa popularité mais aussi à beaucoup de maires « de droite » qui chercheraient à affermir leur base électorale en favorisant systématiquement le logement pavillonnaire haut de gamme pour sélectionner leurs électeurs et même à certains maires de gauche qui tenteraient d'avoir moins d'immigrés dans leur commune en pratiquant une discrète politique de quota. SOS considère que les élus locaux ne doivent pas avoir la possibilité de refuser la construction de logements sociaux sinon les populations immigrées, souvent logées en HLM, seront rejetées de beaucoup de communes (généralement les plus aisées) pour être concentrées dans les rares municipalités qui accepteront l'établissement de logements sociaux sur leur sol. SOS-Racisme demande donc une élaboration nationale de la politique du logement :

Il faut imposer, lorsque c'est nécessaire, aux collectivités locales la construction de logements sociaux. La répartition des logements doit faire l'objet de décisions au niveau des bassins d'habitat régionaux, articulés avec des politiques de transport et de localisation des activités. L'action de l'Etat doit fixer les grandes lignes des règles d'attribution de logement, pour prévenir toute pratique de quota d'attribution [213].

Il s'agit donc de loger ceux qui en ont besoin, mais pas de manière anarchique et aléatoire comme dans les années soixante et soixante-dix, méthode qui conduit, selon SOS, à la ségrégation et au ghetto. Les responsables de l'association estiment que l'objectif d'une politique du logement est d'assurer la répartition géographique homogène des différentes couches sociales et des différentes nationalités, pour assurer à chacun un accès égal aux services publics, aux transports urbains, à des établissements scolaires. Cet objectif ne peut être atteint que par une politique nationale qui dépasse les intérêts locaux et les égoïsmes locaux.

Le logement social doit devenir, encore plus qu'aujourd'hui, une priorité budgétaire. Mais il ne suffit pas de construire, il faut changer la localisation, réintégrer les HLM dans une politique urbaine cohérente. Cela suppose de dépasser les égoïsmes municipaux au profit d'une réelle solidarité intercommunale basée sur la péréquation de la taxe professionnelle [214].

SOS préconise d'une part d'augmenter le nombre des logement sociaux en les finançant au moyen d'un « grand emprunt » [215] mais aussi de faire en sorte que les logements sociaux vides soient effectivement attribués [216]. SOS ne propose cependant pas de réquisitionner les logements privés vides comme le fait l'association DAL à partir de 1990. Les propositions de SOS sur le logement supposent la mise en œuvre d'une politique du logement sur une échelle nationale coordonnée dans les quartiers par un ministère de la ville.

    

c) la politique scolaire

Cependant la politique de la ville ne fait pas disparaître la principale difficulté que rencontrent les habitants des grands ensembles, le chômage. Pas plus qu'auparavant l'association ne prétend pouvoir y apporter des solutions originales mais elle constate que les « jeunes issus de l'immigration » sont plus touchés que les jeunes « français de souche », en partie pour des raisons de discrimination à l'embauche mais surtout parce que leur niveau de qualification est généralement plus faible. Pour SOS, il ne s'agit que partiellement d'un problème de langue ou de culture maternelles, mais plutôt d'un problème d'ordre social : la réussite scolaire des enfants d'immigrés est comparable à celle des enfants « d'origine française » de couche sociale équivalente. De plus, la forte proportion d'enfants d'immigrés dans les « cités » a pour conséquence une concentration dans certains lycées des élèves qui sont en difficulté scolaire, ce qui ne contribue pas à leur permettre de rattraper leur retard.

SOS constate l'association fréquente et pernicieuse de la situation d'échec scolaire et de celle d'élève immigré dans un contexte d'élévation rapide du niveau de formation générale, d'éducation et de qualification professionnelle. Le niveau monte, mais il monte de manière différenciée. Ceux dont on est allé chercher les pères pour être la composante essentielle du sous-prolétariat urbain sur lequel nos pays ont fondé leur prospérité au cours des Trente Glorieuses, sont en droit d'attendre une attention particulière dans les dispositifs de zones afin qu'une génération plus tard les mêmes différenciations ne se reproduisent pas. (...) Comment peut-on tolérer ce que nous disent études et statistiques récentes ? Aujourd'hui le lieu de naissance et d'habitation de l'enfant détermine sa réussite ou le condamne à l'échec. Né dans un ghetto, il en subira toutes les conséquences. (...) Les conditions objectives qui lient par la carte scolaire le ghetto à son école rendent les situations difficiles [217].

L'échec scolaire apparaît en partie dû aux différences de niveau entre lycées « du centre ville » et de « la périphérie » :

SOS préconise la résolution positive des problèmes de concentration des populations scolaires dont le milieu familial socialement défavorisé se double d'un problème de langue. Et s'il faut, à titre démonstratif, en passer par des expériences de school busing comme dans certaines villes et Etats de l'Amérique du Nord, il faudra avoir ce courage [218].

SOS considère que la concentration dans les établissements les plus proches des « cités » d'élèves en situation d'échec croissant et donc de moins en moins motivés par l'investissement scolaire est la source du faible niveau moyen et de la mauvaise productivité des classes des lycées de banlieue. Mais cette concentration des élèves « socialement défavorisés » dans les lycées publics tend à être renforcée par les stratégies de certains parents qui préfèrent inscrire leurs enfants dans des établissements privés. Cette fuite des parents les mieux informés et les plus motivés par la réussite scolaire de leurs enfants est difficile à éviter sans interdire les établissements privés dans certaines villes. L'association réclame donc surtout que des moyens budgétaires supplémentaires soient affectés aux établissements des zones d'éducation prioritaires [219] pour permettre une amélioration des conditions de travail et de l'encadrement, c'est-à-dire en particulier pour « dédoubler les classes les plus dures et développer le soutien scolaire » [220].

L'échec scolaire n'est pas une fatalité. Il dépend en grande partie des moyens budgétaires et pédagogiques, du nombre d'élèves par classe. Mais l'association du milieu familial encore trop extérieure à l'institution scolaire, la mise en valeur d'expériences, la valorisation des formes nouvelles de soutien scolaire qui passe par la responsabilisation “des grands frères et des grandes sœurs”, mieux à même que leurs parents de suivre les méandres du monde scolaire, sont autant d'éléments qu'il faut prendre en compte [221].

Les revendications de l'association pour lutter contre l'échec scolaire sont donc relativement classiques et proches des propositions des syndicats enseignants. SOS est soucieux de ne pas attribuer au faible taux de réussite scolaire des enfants des immigrés une origine trop difficile à transformer par une politique publique (famille nombreuse, écart entre la culture familiale et la culture majoritaire, culture de la rue, milieu social des parents, effort scolaire accru des familles de milieux plus favorisés, etc.). De toute façon, même si les propositions de l'association ne constituent sans doute pas des solutions définitives à l'échec scolaire, il s'agit surtout pour elle de souligner son importance dans le processus de construction de « populations sans avenir » tendant à engendrer des tensions sociales et « racistes ».
    Le programme de SOS en 1990 est finalement assez proche de ce qu'il était en 1987 mais SOS développe plus qu'auparavant les thèmes de l'école et de la « politique de la ville », quelques mois avant les « émeutes » de Vaulx-en-Velin. Cependant, certains thèmes liés à l'emploi, centraux dans le discours de 1987, perdent de l'importance, en particulier ceux concernant les discriminations à l'embauche et surtout la réussite individuelle. Comme nous l'avons dit, ce discours autour de la « génération des entrepreneurs » était peu mobilisateur parce qu'il ne faisait pas reposer l'intégration sur les luttes collectives mais au contraire sur les efforts individuels de chacun. Il semblait par contrecoup attribuer une part de la « responsabilité » du faible taux d'ascension sociale de la « deuxième génération immigrée » aux jeunes eux-mêmes qui auraient manqué d'assiduité scolaire ou d'ambition professionnelle. Il tendait en outre à contrecarrer le discours de victimisation des populations d'origine immigrée qui était à la base des mobilisations réactives après les « bavures » ou les « crimes racistes ». En outre, ce discours qui rencontrait l'hostilité des militants des mouvements « beurs », ne suscitait que peu d'écho chez les militants de SOS. Ce discours était surtout destiné aux médias, aux hommes politiques et aux administratifs et donc il n'était pas forcément utile de le diffuser largement à partir de la formulation écrite. On peut cependant souligner qu'il a parfaitement atteint son but et que le discours sur la promotion sociale individuelle a été le discours de SOS qui a connu le plus de succès.
    Les thèmes que SOS met en avant après 1987 font des « xénophobes » comme des « populations d'origine immigrée » les victimes d'un processus social qui associe le chômage, l'appauvrissement relatif, la dégradation de l'habitat, l'échec scolaire et le manque de perspectives des populations habitant dans les « cités » pour produire du « racisme ». Le discours de SOS est donc très différent de celui des associations « beurs » qui critiquent beaucoup plus ouvertement l'action de certains acteurs publics ; les policiers et la justice en premier lieu, les municipalités qui gèrent les « cités », la plupart des partis politiques, ceux de « droite » mais surtout ceux de gauche qui sont accusés d'avoir trahi les immigrés après leur avoir beaucoup promis [222]. Enfin, les mouvements « beurs » mettent souvent en cause les « racistes » eux-mêmes, tous ceux qui manifestent de l'hostilité aux populations immigrées [223].
    Les associations « beurs » réagissent surtout contre des discriminations dont ceux auxquels elles s'adressent éprouvent quotidiennement la réalité. Leurs principales revendications concernent les relations conflictuelles entre les « jeunes des cités » et les policiers, les crimes et les agressions « racistes » mais aussi les jugements perçus comme trop cléments lorsque ces affaires arrivent devant les tribunaux, ainsi que les effets de la double peine qui conduit à l'expulsion de « jeunes issus de l'immigration » qui n'ont jamais vécu qu'en France [224]. Ces thèmes sont suffisament quotidiens et affectifs pour permettre la mobilisation réactives des « populations issues de l'immigration » par ailleurs difficiles à rassembler sur un discours de type politique, avec des objectifs à long et à moyen terme et autour d'organisations hiérarchisées.
    La façon dont SOS parle de l'immigration est évidemment très différente de celle qu'emploie le Front national. Celui-ci met en avant l'immigration clandestine, l'islam et la « délinquance immigrée » tandis que SOS qui n'aborde que rarement ces sujets, préfère parler d'intégration et de politique de la ville. Symétriquement, alors que les associations « beurs » insistent sur la question de la double peine et des rapports entre la police et les jeunes, SOS ne fait jamais campagne sur ces thèmes, essentiellement parce qu'elle considère qu'en parler serait médiatiquement contre-productif. SOS-Racisme tend à éviter les sujets risquant d'accréditer l'idée qu'il existerait un « problème » immigré. Ainsi l'association écarte tous les thèmes qui associeraient les « beurs » avec la délinquance, comme ceux de l'immigration clandestine ou de la double peine (qui touche les « jeunes issus de l'immigration » qui n'ont pas la nationalité française et qui ont été condamnés à de la prison ferme). De même, SOS évite de se prononcer sur la question de la drogue et de ses effets dans les banlieues, en particulier sur la délinquance induite par son prix élevé sur la possibilité pour certains jeunes en devenant « dealers » de vivre dans une « économie parallèle » bien plus rémunératrice que les emplois ordinaires [225].

1. Pour réunir notre collection de coupures de presse consacrées à SOS, nous avons utilisé les revues de presse de Libération, du Monde et de La Croix. Les services de documentation des journaux sont particulièrement attentifs à recueillir les interviews et les articles signés par les responsables des organisations pour fournir les journalistes en citations. Sans atteindre à l'exhaustivité, en particulier pour les interviews ou les tribunes les plus courtes, notre échantillon représente donc probablement une part importante de l'ensemble des articles issus des responsables de SOS.

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2. Il s'agit des livres signés par Harlem Désir, Touche pas à mon pote, Paris, Grasset, 1985 et SOS Désir, Paris, Calmann-Lévy, 1987 ; du texte Manifeste pour l'intégration, présenté lors du Congrès de Longjumeau et du texte d'Harlem Désir, l'intégration : conditions et instruments, publié dans Taguieff (Pierre-André) (dir.), Face au racisme, Paris, La Découverte, 1991, p. 106-118.

3. Pour alléger le texte d'un trop grand nombre de citations, nous avons choisi de faire figurer les extraits d'interviews les plus significatifs dans le corps du texte tandis que la plupart des extraits ont été placés à la fin de chaque partie et identifiés par un numéro. Ils seront appelés au cours de l'exposition.

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4. Interview d'Harlem Désir par Le Débat, n° 61, septembre-octobre 1990.

5. Harlem Désir interviewé par Richard Michel, « le racisme est injustifiable », Révolution, 29 mars 1985.

6. note annulée.

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7. Harlem Désir, Touche pas à mon pote, Paris, Grasset, 1985, p. 148.

8. En reprenant certains éléments de la présentation de SOS que Jacques Julliard avait faite dans Le Nouvel Observateur du 15 février 1985.

9. Harlem Désir interviewé par Eric Favereau et Michel Chemin, Libération, 25 mars 1985.

10. Harlem Désir interviewé par Jean Liberman, L'Unité, 3 janvier 1986.

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11. Propos de Harlem Désir rapportés dans Chemin (Michel), Lifting pour l'antiracisme, Libération, 20 février 1985.

12. Voir Harlem Désir, Touche pas à mon pote, Paris, Grasset, 1985, p. 109-114. Voilà comment Harlem Désir raconte sa première rencontre avec le Président de la République : « François Mitterrand m'assura qu'il était toujours favorable [au droit de vote des immigrés aux élections locales] mais qu'il fallait admettre que la majorité des français y était hostile. De la bataille épique, livrée l'année précédente à propos de l'école privée, il avait retenu une leçon : convaincre l'opinion avant de tenter une réforme en profondeur. [...] J'avais été séduit par l'homme et impressionné par le politique, et pourtant je restais sur ma faim. [...] Mais je comprenais que le chef de l'Etat soit tenu à une certaine prudence. Aussi, je tombai des nues lorsque trois jours plus tard, devant le congrès de la Ligue des Droits de l'homme, François Mitterrand déclara qu'il était personnellement favorable au droit de vote des immigrés aux élections municipales. Les convictions de l'homme de gauche avaient été plus fortes que les scrupules du président ».

13. Si un porte-parole de SOS critique l'attitude des « partis de droite » c'est pour souligner aussitôt le soutien individuel d'un responsable de l'opposition : « c'est un peu la faute des partis de droite [si le P.S. tente de récupérer SOS]. Ils sont moins spontanés, moins présents à nos côtés que le Parti socialiste ou le MRG. La droite est plus frileuse. Mais il y a des exceptions. Jacques Toubon, par exemple, nous adresse le premier un télégramme de félicitations. » Eric Ghébali cité par Frédérique Lantieri, Comment la gauche récupère « SOS Racisme », Le Quotidien de Paris, 27 mars 1985.

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14. Harlem Désir, Touche pas à mon pote, Paris, Grasset, 1985, p. 76.

15. Voir aussi Lantieri (Frédérique), Comment la gauche récupère « SOS-Racisme », Le Quotidien de Paris, 27 mars 1985 ; notamment la citation d'Eric Ghébali, secrétaire général de SOS « Pourtant nous sommes des jeunes apolitiques, qui luttons contre le racisme, c'est tout. »

16. Voir aussi Cheraga (Myriam), Ne mélangeons pas tout, Sans Frontière, n° 92-93, La « beur » Génération, mai 1985, p. 26-28. Myriam Cherage réagit contre les critiques qui ont été adressées au Parti Communiste par les orateurs de SOS-Racisme lors du débat qu'ils avaient organisé le 7 mars au Havre après l'agression dont avait été victime Saïd Zanati le 13 février 1985 à Notre-dame-de-Gravanchon.

17. Harlem Désir interviewé par Richard Michel, « Le racisme est injustifiable », Révolution, 29 mars 1985. Il ajoute : « il y a des gens qui propagent l'idéologie raciste comme s'ils propageaient des idées. Il est grand temps de mettre un terme à cette infection généralisée, à la banalisation des thèmes racistes qui a engendré une progression de la bêtise, de la haine, puis du passage à l'acte comme cela vient de se produire à Menton » (cité par Frédérique Lantieri, Le Quotidien de Paris, 26 mars 1985). Voir aussi Harlem Désir interviewé par Judith Waintraub, Le Quotidien de Paris, 2 janvier 1986 : « Va-t-on laisser entrer des racistes déclarés au Parlement ? ».

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18. Harlem Désir, Touche pas à mon pote, Paris, Grasset, 1985, p. 101.

19. « On souhaite placer les gens devant leurs responsabilités. On veut qu'ils prennent des positions claires parce que souvent l'habileté des politiciens est de préserver toutes les combinaisons possibles en restant dans le flou ». Harlem Désir entend ici obliger les responsables des partis « de droite » à prendre publiquement position vis-à-vis du Front national et d'une éventuelle alliance électorale. Harlem Désir interviewé par Richard Michel, « le racisme est injustifiable », Révolution, 29 mars 1985.

20. Cf. la tribune de Michel Noir dans Le Monde expliquant qu'il vaut mieux perdre les élections que perdre son âme.

21. Voir Boltanski (Luc), Les cadres, Paris, Minuit, 1982. Une fois que l'on a identifié un parti et un leader raciste, tous ceux que l'on peut rapprocher par un attribut ou une caractéristique quelconque du modèle peuvent participer des propriétés diverses du modèle.

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22. « Harlem Désir constate avec inquiétude que Jean-Marie Le Pen est au centre du débat sur l'immigration. “C'est lui qui en a fixé les termes. On ne parle plus des immigrés que par rapport au chômage et à la délinquance. Bientôt on expliquera la crise par l'immigration. Comme bouc émissaire, on ne fait pas mieux” », Harlem Désir cité par Solé (Robert), Un président nommé Désir, Le Monde, 8 novembre 1985 ; la phrase en italique est de Robert Solé.

23. « La fracture racistes-antiracistes n'épouse pas le clivage politique majorité-opposition. On l'a vu au récent Congrès extraordinaire du RPR où des nuances fort importantes se sont exprimées. Cela dit, le subtil slogan de la “préférence nationale”, cela me rappelle une autre époque, celle du “Deutschland über alles” et de la traque aux juifs. », Harlem Désir interviewé par Pierre-Yves Le Priol, La Croix, 15 juin 1985.

24. « Dans le débat politique tel qu'il se présente, les immigrés sont les otages des élections ! [...] Quand j'entends remettre en cause les prestations sociales, parler de contrôle d'identité au faciès, d'une refonte du code de la nationalité, j'ai peur », Harlem Désir interviewé par Judith Waintraub, Le Quotidien de Paris, 2 janvier 1986.

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25. Harlem Désir, Touche pas à mon pote, Paris, Grasset, 1985, p. 125.

26. Harlem Désir interviewé par Christine Bravo, Le Matin de Paris, 18 novembre 1985.

27. Harlem Désir interviewé par Judith Waintraub, Le Quotidien de Paris, 2 janvier 1986.

28. Harlem Désir interviewé par Judith Waintraub, Le Quotidien de Paris, 2 janvier 1986.

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29. Harlem Désir interviewé par Jean Liberman, L'Unité, 3 janvier 1986. Raymond Barre est par ailleurs critiqué pour avoir, à la suite de l'attentat de la rue des Rosiers en 1980, parlé de victimes juives et de « Français innocents », voir, Harlem Désir, Touche pas..., op. cit., p. 94.

30. Harlem Désir interviewé par Judith Waintraub, Le Quotidien de Paris, 2 janvier 1986.

31. Harlem Désir, Touche pas à mon pote, Paris, Grasset, 1985, p. 25.

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32. Harlem Désir, Touche pas à mon pote, Paris, Grasset, 1985, p. 71.

33. Harlem Désir, Touche pas à mon pote, Paris, Grasset, 1985, p. 99.

34. Eric Ghébali, cité par Bothorel (Jean), La récupération politique de « SOS-Racisme », Le Figaro, 5 mars 1985. Notons que Jean Bothorel semble prêt à croire que les fondateurs de SOS cherchent à faire une association non politique. Il proteste seulement contre les manœuvres de « récupération » des partis de gauche. Il faut donc se garder de penser que le positionnement neutre de SOS ait pu être d'emblée considéré par les observateurs politiques et par les professionnels de la politique comme invraisemblable. Voir aussi Lantieri (Frédérique), Comment la gauche récupère « SOS-Racisme », Le Quotidien de Paris, 27 mars 1985.

35. Harlem Désir, Touche pas à mon pote, Paris, Grasset, 1985, p. 99.

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36. Harlem Désir interviewé par Martin Peltier, Le Quotidien de Paris, 15 juin 1985.

37. Harlem Désir interviewé par Eric Favereau et Véronique Brocard, Libération, 13 juin 1985.

38. Harlem Désir interviewé par Joshka Schidlow, Télérama, 1 mai 1985.

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39. Harlem Désir interviewé par Eric Favereau, Libération, 15 avril 1986.

40. Harlem Désir interviewé par Claude Weill, Le Nouvel Observateur, 18 juin 1988. Harlem Désir accuse ainsi le Front national d'être à l'origine des « crimes racistes » : « Le racisme n'est jamais simplement une idéologie. C'est toujours la violence meurtrière. Avec des esprits faibles qui passent à l'acte après ce qui leur a été raconté par les démagogues. Il y a des mots qui tuent. On ne peut passer son temps à dire que les immigrés sont responsables de la crise sans que certains essayent de faire œuvre de salubrité en les éliminant. Le discours anti-immigrés, raciste, est meurtrier » Harlem Désir interviewé par Laeticia Aubry, Le Quotidien de Paris, 13 juin 1987.

41. « On avait réussi, fin 1984, à montrer qu'il y avait un grand courant anti-raciste et, sinon à endiguer le phénomène Le Pen, du moins à le marginaliser. Ce qui est grave aujourd'hui, c'est que la classe politique l'a laissé se rebanaliser. Regardez ce qui se passe dans les conseils régionaux. On nous expliquait : “en les absorbant, on va les récupérer”. Et que constate-t-on... Les élus du Front national utilisent tous les postes qu'ils ont conquis pour faire passer des politiques de discrimination, de préférence nationale », Harlem Désir interviewé par Claude Weill, Le Nouvel Observateur, 12 Juin 1987.

42. Un codage a été réalisé sur des interviews et des tribunes accordées par les porte-parole de SOS-Racisme entre 1985 et 1992. Le tableau 2 indique selon la période le nombre d'interviews ou de tribunes qui contiennent une mention négative du Front national ou de Jean-Marie Le Pen.

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43. Charles Pasqua avait déclaré, le 11 mai 1987 dans un meeting à Béziers : « Un charter c'est trop disent certains, mais si demain je dois faire un train, je le ferai ». Devant les réactions critiques de SOS, il a ajouté le 13 mai, lors des assises départementales du RPR du Val-de-Marne au Perreux : « Je le dis et je le répète, nous continuerons à reconduire à la frontière les immigrés en situation irrégulière. Même si ça doit déplaire à cette conscience de la nation française que prétend être Harlem Désir, cet élément enfanté de la contestation socialiste et qui est un agitateur professionnel, nous expulserons les immigrés qui se sont rendus coupables de délits. C'est la moindre des choses quand même ».

44. Harlem Désir interviewé par Didier François, Le Matin de Paris, 14 mai 1987.

45. Harlem Désir interviewé par Didier François, Globe, mars 1988.

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46. Harlem Désir interviewé par Martine Azoulay et Isabelle Nataf, Le Matin de Paris, 14 mars 1987.

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47. Harlem Désir interviewé par Alain Léauthier et Jean Quatremer, Libération, 12 mars 1988.

48. Bruno Mégret déclare par exemple le 12 mai 1987 « Les représentants de la majorité parlementaire ainsi que certains ministres [devraient] être plus lucides sur les conditions de leur survie politique » : Jean Marie Le Pen « est victime d'attaques scandaleuses » alors que « Près de 150 députés ne pourront être élus sans les voix du Front national et qu'aucun candidat de droite à l'élection présidentielle ne peut être élu sans les voix de toute la droite », cité in Konopniki (Guy), Mégret sort ses griffes, Le Matin de Paris, 14 mai 1987.

49. Voir par exemple Soustelle (Jacques), Un sous-marin nommé Désir, Le Quotidien de Paris, 11 juin 1986, Beneton (Philippe), L'antiracisme dévoyé, Le Figaro, 12 septembre 1986, Toubon (Robert), Gustave et Théodule, Le Quotidien de Paris, 16 mars 1987 et Philippe Seguin interviewé par Robert Toubon, Code de la Nationalité, « une campagne qui relève de la désinformation », Le Quotidien de Paris, 16 mars 1987.

50. Harlem Désir interviewé par Dominique de Montvalon et Sylvianne Stein, L'Express, 2 octobre 1987.

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51. Harlem Désir interviewé par Dominique de Montvalon et Sylvianne Stein, L'Express, 2 octobre 1987.

52. Harlem Désir interviewé par Dominique de Montvalon et Sylvianne Stein, L'Express, 2 octobre 1987.

53. Bouvard (Philippe), Harlem Désir écrira un jour l'histoire de Martin Luther King, Paris Match, 16 octobre 1987.

54. Harlem Désir interviewé par Thierry Leclère, Télérama, 12 août 1987.

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55. Harlem Désir interviewé par Dominique de Montvalon et Sylvianne Stein, L'Express, 2 octobre 1987.

56. Harlem Désir interviewé par Dominique de Montvalon et Sylvianne Stein, L'Express, 2 octobre 1987.

57. Harlem Désir interviewé par Thierry Leclère, Télérama, 12 août 1987.

58. Harlem Désir interviewé par Patrick Fiole, Le Matin de Paris, 19 août 1987.

59. Harlem Désir interviewé par Claude Weill, Le Nouvel Observateur, 12 juin 1987 ; c'est moi qui souligne.

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60. Harlem Désir interviewé par Alain Léauthier et Jean Quatremer, Libération, 12 mars 1988.

61. Harlem Désir interviewé par Didier François, Le Matin de Paris, 14 mai 1987.

62. Harlem Désir interviewé par Thierry Leclère, Télérama, 12 août 1987.

63. Harlem Désir interviewé par Didier François, Le Matin de Paris, 14 mai 1987.

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64. Harlem Désir interviewé par Serge Raffy, Le Nouvel Observateur, 18 avril 1986.

65. Harlem Désir interviewé conjointement à Alain Carignon par Robert Schneider et Gilles Anquetil, Le Nouvel Observateur, 20 mars 1987.

66. Harlem Désir interviewé conjointement à Alain Carignon par Robert Schneider et Gilles Anquetil, Le Nouvel Observateur, 20 mars 1987.

67. Discours d'Harlem Désir cité par Judith Waintraub dans, Le rancard vidéo du chef de l'Etat chez Harlem, Le Quotidien de Paris, 14 mars 1988 ; phrase citée également par Moinet (Jean-Philippe), SOS-Racisme : à gauche toute !, Le Figaro, 14 mars 1988.

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68. Harlem Désir interviewé par Didier François, Le Matin de Paris, 14 mai 1987 ; Charles Pasqua avait déclaré le 11 mai 1987 « Un charter c'est trop, disent certains, mais si demain je dois faire un train, je le ferai ». Pour un autre exemple d'association de Charles Pasqua et du Front national voir aussi Harlem Désir interviewé par Claude Weill, Le Nouvel Observateur, 12 juin 1987 : « Les élus du Front national utilisent tous les postes qu'ils ont conquis pour faire passer des politiques de discrimination, de préférence nationale. Ajouter à cela le langage tenu par Pasqua, l'amalgame immigration-délinquance-terrorisme : tout cela fait le lit de Le Pen. C'est conforter l'électorat du Front national dans l'idée que Le Pen a levé un lièvre, qu'il soulève de vrais problèmes. Et comme il est le seul qui soit capable d'aller jusqu'au bout... »

69. Harlem Désir interviewé par Benoît Rayski, Passages, juin 1988.

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70. Harlem Désir interviewé par Benoît Rayski, Passages, juin 1988.

71. Harlem Désir interviewé par Jean Quatremer, Libération, 16 novembre 1988.

72. Harlem Désir interviewé par Georges-Emmanuel Hourant, Le Journal du Dimanche, 18 décembre 1988, souligné dans le texte.

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73. Voir J.P., Plusieurs associations dénoncent le silence du gouvernement sur l'immigration, Le Monde, 7 décembre 1988 et Quatremer (Jean), les antiracistes placent le gouvernement sous surveillance, Libération, 6 janvier 1989.

74. « Pour obtenir l'abrogation de la loi Pasqua, il a fallu monter le ton, et engager une campagne publique, ce qui n'a pas forcément plu au gouvernement et au Parti socialiste. Finalement le Président de la République nous a entendus et a répondu dans ses vœux de fin d'année. Il a fallu encore se battre pour que cet engagement verbal se concrétise et passe au stade de décision gouvernementale », Harlem Désir interviewé par Lionel Rotcage, Rolling Stone, juin 1989.

75. Harlem Désir interviewé par Georges-Emmanuel Hourant, Le Journal du Dimanche, 18 décembre 1988, souligné dans le texte.

76. Malek Boutih interviewé par Gilles Smadja, L'Humanité, 3 mai 1990.

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77. Harlem Désir interviewé par Laurent Joffrin et Robert Schneider, Le Nouvel Observateur, 14 décembre 1989.

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78. Harlem Désir interviewé par Gilles Smadja, L'Humanité, 10 mai 1991 ; Harlem Désir commence à critiquer l'action des gouvernements de gauche de Pierre Mauroy et de Laurent Fabius, ce qu'il ne faisait pas entre 1985 et 1988 : « Nous sommes passés successivement du discours moralisateur et culpabilisateur de la gauche, qui a été incapable d'enrayer la montée du Front national, à la démagogie et aux concessions de l'équipe Chirac-Pasqua, qui se sont soldées par une progression de 50 % du Front national en deux ans. Tant qu'à faire les gens préféraient l'original à l'imitation », Harlem Désir interviewé par Robert Solé, Le Monde, 17 juin 1988.

79. Harlem Désir interviewé par Judith Waintraub, Le Quotidien de Paris, 3 octobre 1992.

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80. Les Listes du Front national recueillent 10,1 % des suffrages exprimés dans les 143 grandes villes où elles étaient présentes contre 13,5 % aux élections législatives de juin 1988 et 17,3 % lors des élections présidentielles de mai 1988. Voir Birenbaum (Guy), Le Front national en politique, Paris, Balland, 1992, p. 168.

81. Harlem Désir interviewé par François Blaise et Youssef Elftouh, L'Etudiant, novembre 1988.

82. Voir également Harlem Désir interviewé par la rédaction du Débat, Défense et illustration de l'antiracisme, Le Débat, n° 61, septembre-octobre 1990, p. 42-58 ; « Nous n'avons donné aucune consigne de vote pour les législatives. Et nous avons engagé le dialogue avec le nouveau gouvernement. Nous n'avions pas de raison de remettre en cause un gouvernement qui procédait d'une majorité légalement élue, même si nous avions quelques inquiétudes. [...] Il se trouve que très rapidement ce gouvernement a pris des positions pour nous inacceptables. Il l'a fait en fonction d'un choix politique lui-même commandé par une stratégie électorale : récupérer les voix égarées au Front national en adoptant une attitude spectaculairement anti-immigrés. Cela a été l'opération du charter pour le Mali, la couverture des bavures policières, le projet de réforme du Code de la nationalité ».

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83. Harlem Désir interviewé par Michel Soudais, Politis, 20 janvier 1992.

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84. Harlem Désir interviewé par Lionel Rotcage, Rolling Stone, juin 1989.

85. Harlem Désir interviewé par Béatrice Vallaeys, Libération, 8 avril 1989.

86. Harlem Désir interviewé par Jean-Yves Lhomeau, Le Monde, 4 juin 1989.

87. Harlem Désir interviewé par Jean Quatremer, Libération, 16 novembre 1988.

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88. Harlem Désir interviewé par Jean-Yves Lhomeau, Le Monde, 4 juin 1989.

89. Harlem Désir interviewé par Carole Barjon, Le Nouvel Observateur, 13 juin 1990.

90. Harlem Désir interviewé par Jean-Yves Lhomeau, Le Monde, 1 juin 1991.

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91. Harlem Désir interviewé par Brigitte Vital-Durand, Libération, 1 décembre 1990.

92. Harlem Désir interviewé par Gilles Smadja, L'Humanité, 20 mars 1991.

93. Harlem Désir interviewé par Jean Quatremer et Fabien Roland-Lévy, Libération, 28 avril 1990.

94. Harlem Désir interviewé par Jean Quatremer et Fabien Roland-Lévy, Libération, 28 avril 1990.

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95. Harlem Désir interviewé par Florence Touret, Raymond Pronier et Stanislas Noye, Profession politique, 27 avril 1990.

96. Harlem Désir interviewé par Jean-Yves Lhomeau, Libération, 18 mars 1992.

97. Harlem Désir interviewé par Gilles Smadja, L'Humanité, 20 mars 1991.

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98. Malek Boutih interviewé par Gilles Smadja, L'Humanité, 3 mai 1990.

99. Harlem Désir interviewé par Olga Grimm-Weissert, Der Standart (Vienne), traduit dans Le Courrier international, 18 avril 1991.

100. Harlem Désir interviewé par Benoît Rayski, Passages, juin 1988.

101. Harlem Désir interviewé par Jean-Yves Lhomeau, Le Monde, 4 juin 1989.

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102. Harlem Désir interviewé par Joseph Macé-Scaron, Le Figaro, 24 janvier 1992.

103. Harlem Désir interviewé par Florence Touret, Raymond Pronier et Stanislas Noye, Profession politique, 27 avril 1990.

104. Harlem Désir interviewé par Joseph Macé-Scaron, Le Figaro, 24 janvier 1992.

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105. Hayette Boudjema interviewée par Pierre Agudo et Lucien Degoy, L'Humanité, 23 janvier 1992.

106. Hayette Boudjema interviewée par Pierre Agudo et Lucien Degoy, L'Humanité, 23 janvier 1992.

107. Tribune de Harlem Désir, Le Figaro Magazine, 9 mars 1991.

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108. Voir Yonnet (Paul), Le Voyage..., op. cit., p. 98-101, pour un commentaire critique sur la chronologie de la création de SOS.

109. Harlem Désir et S.O.S.-Racisme, S.O.S. Désir, Paris, Calmann-Lévy, 1987.

110. Il ne s'agit pas ici de porter un jugement sur la vraisemblance ou l'exactitude de ce scénario, mais seulement d'exposer les grandes lignes des prises de positions de l'association à partir d'août 1987 et de fournir des éléments pour une analyse des évolutions des prises de positions de l'association.

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111. Harlem Désir et S.O.S.-Racisme, S.O.S. Désir, op. cit. p. 159. Voir aussi une description semblable concernant les Minguettes, ibid., p. 65-68.

112. Au sens « d'action publiquement disqualifiée » que Howard Becker donne à ce terme, voir Becker, Outsider, Paris, Métailié, 1985, p. 186.

113. note annulée.

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114. Harlem Désir et S.O.S. Racisme, SOS Désirs, op. cit., p. 177.

115. Voir Le grand baroud policier et « Faut pas rêver, ici on est au Val-Fourré ! », in Abdallah (M. H.) et Boubeker (A.), Douce France. La Saga du Mouvement Beur, Quo vadis, automne-hivers 1993, p. 23-25, Mogniss H. Abdallah, Police-Justice, quels contre pouvoirs ?, in La « beur » génération, op. cit., p. 42-44 et Adil Jazouli, L'action collective des jeunes maghrébins de France, Paris, L'Harmattan, p. 57-92 : « Quoi qu'on en dise, c'est d'abord dans cette oppression et ces provocations policières quotidiennes qu'il faut chercher les raisons qui ont entraîné ces “rodéos de la colère” », ibid., p. 83.

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116. À la différence de la Gauche Socialiste qui propose la réduction du temps de travail à 35 heures sans réduction de salaire.

117. Harlem Désir et S.O.S. Racisme, SOS Désirs, op. cit., p. 94.

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118. Harlem Désir interviewé par Didier François, Globe, mars 1988.

119. Voir la littérature sociologique consacrée à l'échec scolaire et à la promotion sociale par l'école, notamment Ballion (R.), Le choix du collège : le comportement éclairé des familles », Revue française de sociologie, 1986, 712-734, Boudon (R.), L'inégalité des chances. La mobilité sociale dans les sociétés industrielles, Paris, Armand Colin, 1973, Bourdieu (P.), Passeron (J.-C.), Les héritiers. Les étudiants et la culture, Paris Minuit, 1964, La reproduction, Paris, Minuit, 1970, Jenks (C.), et alii, L'inégalité, l'influence de la famille et de l'école en Amérique, Paris, PUF, 1979 (Ed. originale 1972). Pour une analyse (engagée) des débats sur « l'égalité des chances » voir Derouet (J.-L.), Ecole et justice. De l'égalité des chances aux compromis locaux ?, Paris Métailié, 1992.

120. Harlem Désir et S.O.S.-Racisme, SOS Désirs, op. cit., p. 105-107.

121. Un chapitre est par ailleurs spécifiquement consacré aux réussites de « femmes issues de l'immigration » (appelées ici « beurettes ») dont l'intégration, qui s'effectue également par l'école et par le métier exercé, se double d'une émancipation par rapport à la tutelle des pères, des frères ou des maris ; voir « les beurettes sont partout », p. 43-58.

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122. SOS évitera cependant de faire campagne publiquement autour des thèmes de la réussite individuelle et de la promotion sociale par l'entreprise qui ne correspondent pas à la tradition militante des membres de l'association. L'hésitation de l'association durera toutefois jusqu'au congrès de Créteil en 1993. Ce positionnement « libéral » sera plutôt utilisé par France-Plus et Arezki Dahmani.

123. Harlem Désir et S.O.S.-Racisme, SOS Désirs, op. cit., p. 59-76. Pour une autre vision de la rénovation aux Minguettes voir Martine Azoulai, Minguettes : la cité modèle rêve d'anonymat, Le Matin de Paris, 24 août 1987, article publié quelques jours après l'Heure de Vérité de Harlem Désir.

124. Harlem Désir et S.O.S.-Racisme, SOS Désirs, op. cit., p. 77-82.

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125. Pour une version moins optimiste de la rénovation du quartier du Mazet, voir Bouffin (Yann), Clermont-Ferrand, l'ombre du racisme sur les murs rénovés du Mazet, Libération, 16 novembre 1987.

126. Harlem Désir interviewé par Didier François, Globe, mars 1988.

127. Voir Pierre-André Taguieff, Les fins de l'antiracisme, Paris, Michalon, 1995, p. 176.

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128. Harlem Désir et S.O.S.-Racisme, SOS Désirs, op. cit., p. 35.

129. Discours de Michel Rocard le 3 décembre 1989.

130. Voir ci-dessous.

131. Harlem Désir et S.O.S.-Racisme, SOS Désirs, op. cit., p. 35.

132. Paul Yonnet parle de « rhétorique autophage » ; Yonnet (P.), Voyage..., op. cit., p. 95.

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133. Harlem Désir et S.O.S.-Racisme, SOS Désirs, op. cit., p. 127. SOS se déclarera favorable à un accès facilité à la naturalisation au moins jusqu'en 1989 : « Nous proposons la création d'une agence nationale pour la naturalisation, chargée de développer l'information, l'accueil et la rapidité de traitement des dossiers, pour faciliter et encourager l'acquisition de la nationalité française », Harlem Désir, Une loi-cadre pour l'intégration, Le Monde, 10 novembre 1989. À partir de 1990, SOS tendra à être plus discret sur ses positions en matière d'immigration clandestine et d'accès à la nationalité.

134. Harlem Désir et S.O.S.-Racisme, SOS Désirs, op. cit., p. 128.

135. Cette proposition sans doute trop « avancée » disparaîtra ultérieurement des programmes de SOS.

136. Voir Jazouli (A.), Autonomie, contestation et intégration conflictuelle, in La beur génération, op. cit., p. 52, notamment : « que des militants dont je suis, revendiquent ce droit de vote, cela me paraît cohérent, mais que des jeunes qui dans leur immense majorité sont, ou vont devenir français de par leur nationalité, le revendiquent aussi, cela ne me paraît pas très sérieux » ; voir aussi Jazouli (A.) Les années..., op. cit., p. 83 et L'action collective..., op. cit., p. 144. Pour une illustration du discours sur la « nécessaire solidarité » entre première et deuxième génération de l'immigration, voir Azzoun (R.) et Titous (K.), « Nous sommes tous des bougnoules de Talbot », in Sans Frontières, n° 83, Paris, février 1984 et Abdallah (M. H.) et Boubeker (A.), « Ce qui nous guette, c'est l'oubli », in Douce France. La Saga du Mouvement Beur, Quo vadis, automne-hiver 1993, p. 20-22.

137. La principale revendication (satisfaite) de la marche de 1983 était d'ailleurs la carte de séjour de dix ans qui ne concernait probablement qu'une minorité des « marcheurs » mais qui était demandée par l'ensemble des organisations de travailleurs immigrés et des associations antiracistes ou de soutien aux travailleurs immigrés.

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138. Signalons que certaines associations issues de l'immigration ne défendent pas une conception de l'intégration à la société française allant jusqu'à la naturalisation ; ils peuvent revendiquer « le droit de rester immigrés et non celui de se fondre dans l'ordre national du fait de la politique d'accession à la nationalité ». Voir, sur la ligne des responsables du journal Sans Frontières, Polac (C.), Quand les immigrés prennent la parole, in Périneau (P.) (dir.), L'engagement politique. Déclin ou mutation ?, Paris, Presses de la FNSP, 1994, p. 386.

139. Durant l'émission l'Heure de Vérité, Harlem Désir s'est déclaré « personnellement favorable au vote des immigrés aux élections municipales »,« Il faut pour cela optimiser l'intégration mais il faut d'abord convaincre tous les français » ; cette restriction tend à réduire le propos à un simple positionnement de principe.

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140. Harlem Désir avait déclaré qu'il était « contre l'immigration clandestine » mais que « les expulsés doivent pouvoir se défendre devant la justice ». Pour un aperçu des réactions politiques et journalistiques, voir par exemple, Thierry Lelouet, Harlem Désir jugé par Michel Hannoun : « un ton nouveau », Le Quotidien de Paris, 21 août 1987, Jean-François Moruzzi, Harlem Désir : haut la petite main, Le Quotidien de Paris, 20 août 1987, S.R., « L'Heure de vérité » tranquille d'Harlem Désir, Le Matin de Paris, 20 août 1987, P. P., Harlem Désir : avocat de l'intégration, Le Figaro, 21 août 1987.

141. Harlem Désir le proposera pourtant dans une tribune publiée en 1989 : « Puisque notre économie semble avoir besoin de cette main d'œuvre, pourquoi ne pas ouvrir une procédure d'immigration économique légale et contingentée afin de sortir de l'actuel engorgement des demandes d'asile ? », in Harlem Désir, Une loi-cadre pour l'intégration, Le Monde, 10 novembre 1989. Cette proposition formulée à la fin de « l'affaire du foulard », ne sera plus évoquée par la suite, ni dans le Manifeste pour l'intégration présenté au congrès de Longjumeau en avril 1990, ni dans les différentes tribunes publiées par Harlem Désir (voir en particulier Militer, Le Monde, 29 juillet 1990).

142. Harlem Désir et S.O.S.-Racisme, SOS Désirs, op. cit., p. 36.

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143. Le terme est utilisé dès 1985 ; voir l'interview d'Harlem Désir par Michel Chemin, Lifting pour l'anti-racisme, Libération, 20 février 1985 ; voir aussi Malek Boutih, Hambourg : Les vieux démons du nazisme, Le Matin de Paris, 7 août 1985. Lors de l'étape allemande du Voyage de l'égalité organisé par SOS dans les pays de l'Europe du nord en août 1985 voici comment Malek Boutih décrit l'action de certaines organisations locales : « Dans le local de l'Action pour la réunion des étrangers en Allemagne les animateurs racontent leur travail : l'apprentissage de la langue allemande, l'aide face aux problèmes administratifs. Pour Ahmed, l'un des voyageurs, ce travail tend vers une assimilation. Ce dont les dirigeants se défendent, car pour eux, cette immigration est destinée à un retour vers leur pays d'origine. Mais les jeunes turcs nés à Hambourg retourneront-ils un jour dans un pays qu'ils ne connaissent pas ? »

144. Voir par exemple Bouamama (S.), Le Nord contre les fayots de la République, In Douce France : la saga du mouvement beur, Quo Vadis, automne-hiver 1993, p. 62-64.

145. Harlem Désir et S.O.S.-Racisme, SOS Désirs, op. cit., p. 30.

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146. Harlem Désir et SOS-Racisme, SOS Désir, op. cit., p. 36-37. Harlem Désir considère que SOS a permis de rompre avec la notion de « droit à la différence » : « Le discours antiraciste a [...] changé. Pas tant celui de SOS Racisme, qui joue l'intégration depuis le début, que sa vulgate publique répercutée par les médias. Ce fut la surprise de “L'Heure de Vérité” », Ibid., p. 34. Dans un article publié avant L'Heure de Vérité, Laurent Joffrin qui fait alors partie de Brain-pote et qui est proche des responsables de SOS, soutient également que l'association a toujours été hostile au « droit à la différence » : « Cette option de la génération  – et non de la communauté  – a eu au départ un inconvénient : celle de déclencher la polémique avec une partie des associations beurs. D'emblée, SOS choisissait l'intégration des immigrés à la société française, c'est à dire leur francisation progressive, quand beaucoup de militants beurs mettaient d'abord l'accent sur leur originalité culturelle, au nom du “droit à la différence” », Joffrin (L.), Trois thèses pour une génération, Libération, 19 août 1987. Voir aussi Harlem Désir, SOS n'est pas ce que l'on dit, L'Express, 28 novembre 1990 où en réponse à un précédant article de L'Express, Harlem Désir conteste que SOS ait jamais été pour le « droit à la différence ». À la fin de la tribune, L'Express indique qu'Harlem Désir « n'aime pas que l'on lui rappelle que son discours s'est infléchi et qu'avant le tournant qu'a constitué pour tout le monde son passage à “L'Heure de Vérité”, en 1987, l'intégration conçue comme le rassemblement de citoyens autour des valeurs républicaines n'était pas le thème dominant de SOS ».

147. Il s'agit surtout pour Harlem Désir de montrer aux journalistes et au public « français de souche » que SOS n'est pas un syndicat de défense des intérêts des immigrés et qu'il se situe dans la tradition de l'intégration « républicaine ».

148. Harlem Désir définit à l'Heure de Vérité le portrait-type de l'électeur de Front national : « c'est M. X..., habitant des quartiers nord de Marseille, les grandes cités qui ont été laissées à l'abandon, dont le fils est au chômage, dont on a volé l'autoradio, dont la boîte aux lettres a été arrachée. Et lorsque ce monsieur est arrivé au 8ème étage et qu'il se rend compte qu'il a oublié le sel, eh bien ! il est obligé de descendre par l'escalier, parce que l'ascenseur est en panne et que personne ne s'en occupe, et de passer dans le hall au milieu d'une haie de jeunes désœuvrés qui sont au chômage, dont une grande partie d'immigrés et qui lui semblent effectivement menaçants ». Harlem Désir semble même considérer que des attitudes « d'énervement social » sont légitimes.

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149. Harlem Désir et SOS-Racisme, SOS Désir, op. cit., p. 23.

150. Ibid.

151. Ibid., p. 24.

152. Ibid., p. 15.

153. Ibid., p. 16.

154. Ibid., p. 15.

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155. On pourrait par exemple considérer que le racisme peut avoir plusieurs sources, les unes sociales et les autres idéologiques, ou encore que les véritables causes sont sociales mais qu'il est possible de lutter par la parole et l'argumentation pour convaincre ceux que leur environnement social conduit au « racisme », ou enfin, que les germes du racisme s'étant emparés des esprits lorsque les conditions sociales y étaient favorables, la simple disparition du terreau raciste ne suffirait pas à assurer la disparition des « idées racistes » et qu'il est nécessaire de mener un travail de persuasion.

156. L'association ne conteste d'ailleurs pas la transformation de ses thèmes de campagne : « La méthode que nous avons employée les premières années, fondée avant tout sur la protestation morale et l'optimisme culturel, a permis de stopper la première dérive anti-immigrés. Mais elle ne suffit plus. Nous en avons tiré la leçon depuis au moins deux ans. Nous avons maintenant un programme concret, qui traite le problème à la racine, et qui cherche à prendre en compte les attentes et les angoisses des Français comme celles des immigrés », Harlem Désir interviewé par Laurent Joffrin et Robert Schneider, Le Nouvel Observateur, 14 décembre 1989.

157. Voir l'article de Mohamed Jabbad, membre de l'ANGI (association de la nouvelle génération immigrée), Quel Anti-racisme aujourd'hui ?, in La « beur » génération, Sans Frontières, n° 92-93, mai 1985, p. 23-25 : « Il ne faudrait pas oublier que l'apport essentiel du mouvement des jeunes issus de l'immigration a été de donner un contenu au combat anti-raciste : la lutte pour l'égalité » ; voir aussi Belghoul (Farida), BHL, Barre, Gros minet et les autres..., ibid, p. 39-41.

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158. Interview de Harlem Désir, avec Jean Bellanger (responsable du secteur immigration à la CGT) par Pierre Tartakowsky, la vie ouvrière, 22-28 août 1985. Par contraste la position de Jean Bellanger met en évidence les spécificités de la position d'Harlem Désir en 1985 : « Je rejoins entièrement ce que vient de dire Harlem. J'y ajouterais la dimension de la crise, du chômage, vécu indifféremment par tous les jeunes, Français, immigrés, sur le même mode, celui de l'exclusion et du mépris. (...) Aujourd'hui, les luttes contre la casse, pour l'emploi, se doivent d'inclure l'antiracisme. Si elles y manquaient, cela signifierait que le poison de la division a fait son œuvre et elles courraient à l'échec. L'antiracisme ne peut s'en tenir au plan moral. (...) C'est sur cette base qu'on fera échec à la division-diversion, qu'on peut battre la crise sur son terrain, renforcer l'antiracisme dans le monde du travail » (c'est moi qui souligne). Jean Bellanger insiste sur l'importance de « la crise, du chômage ». Les difficultés économiques ne sont pas clairement désignées comme les causes directes des sentiments racistes, mais le responsable de la CGT établit un lien beaucoup plus direct qu'Harlem Désir entre la « crise » et le racisme, même s'il semble surtout inquiet du risque de « division-diversion » que le racisme pourrait introduire entre les travailleurs pour les détourner des luttes sociales.

159. Harlem Désir, Touche pas..., op. cit., p. 94.

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160. Harlem Désir interviewé par Richard Michel, « le racisme est injustifiable », Révolution, 29 mars 1985.

161. Harlem Désir interviewé par Pierre-Yves Le Priol, Gaffe aux récupérations, La Croix, 15 juin 1985. Harlem Désir affirme « qu'il y a quelques années, jamais les gens n'affichaient aussi ouvertement leurs opinions racistes, ce changement nous inquiète » (cité par Jean-Charles Lajouanie, Le Quotidien de Paris, 20 février 1985).

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162. Harlem Désir, Touche pas..., op. cit., p. 95.

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163. Harlem Désir, Touche pas..., op. cit., p. 139-140.

164. Voir Pierre-André Taguieff, La force du préjugé, Paris La Découverte, 1987, p. 330 et s.

165. Qui semble ici défini comme l'attribution à chaque membre d'un « groupe ethnique » de caractéristiques négatives communes.

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166. Contrairement au discours de 1987, (voir note 39) dans lequel l'électeur du Front national est décrit comme directement confronté à des attitudes hostiles.

167. Harlem Désir interviewé par Richard Michel, « Le racisme est injustifiable », Révolution, 29 mars 1985.

168. Harlem Désir interviewé par Eric Favereau et Michel Chemin, Harlem Désir : cause à tes potes, leur tête est malade, Libération, 25 mars 1985. Voir aussi les propos de Harlem Désir rapporté par Frédérique Lantiéri : « Actuellement le racisme devient presque une opinion comme les autres, qu'on affiche comme d'autres points de vue. Il y a des gens qui propagent l'idéologie raciste comme s'ils propageaient des idées. Il est grand temps de mettre un terme à cette infection généralisée, à la banalisation des thèmes racistes qui a engendré une progression de la bêtise, de la haine puis du passage à l'acte comme cela vient de se produire à Menton », in SOS-Racisme : « appel aux consciences » aujourd'hui, Le Quotidien de Paris, 26 mars 1985.

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169. Interview de Harlem Désir par Joshka Schidlow, Harlem Désir « le discours anti-immigré a contaminé les cités », Télérama, 1er mai 1985.

170. Interview de Harlem Désir, avec Jean Bellanger (responsable du secteur immigration à la CGT) par Pierre Tartakowsky, La vie ouvrière, 22-28 août 1985.

171. Faisant le récit du meeting antiraciste tenu à Assas le 28 mars 1985, Harlem Désir insiste sur le rôle de la parole et du débat dans la lutte antiraciste : « La plupart des interventions, certaines de très haute volée, portaient sur le phénomène raciste et ses manifestations dans l'histoire, la culture, la philosophie ou même la psychanalyse. Chacun souligna l'importance du verbe, arme suprême qui permettra à la logique de la vie de l'emporter sur la logique de la guerre », Harlem Désir, Touche pas..., op. cit., p. 82.

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172. Harlem Désir interviewé par Eric Favereau et Michel Chemin, Harlem Désir : cause à tes potes, leur tête est malade, Libération, 25 mars 1985.

173. Harlem Désir interviewé par Richard Michel, « Le racisme est injustifiable », Révolution, 29 mars 1985.

174. Il s'agit de la semaine du 21 au 31 mars 1985 qui a vu la mort d'Aziz Madak à Menton, celle de Nouredine Hassan Daouadj à Miramas et l'explosion d'une bombe dans un cinéma parisien qui organisait un festival du film juif.

175. Harlem Désir, Touche pas..., op. cit., p. 95, c'est moi qui souligne.

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176. Voir Farida Belghoul, BHL, Barre, Gros Minet et les autres..., in La « beur » génération, Sans Frontière, n° 92-93, mai 1985.

177. Voir en particulier l'article d'Eric Conan qui attaque le « différencialisme » de SOS : Eric Conan, Vous avez dit école laïque, L'Express, 27 octobre 1989. Voir aussi Yvette Roudy (interview par Judith Waintraub), « Pourquoi ne pas revenir au port de la blouse ? », Le Quotidien de Paris, 24 octobre 1989, Alain Finkielkraut, La sainte alliance des clergés, Le Monde, 25 octobre 1989, M. J., Préjugé contre savoir, Le Nouvel Observateur, 23 janvier 1992, Paul Yonnet, Voyage ...

178. Harlem Désir, Touche pas..., op. cit., p. 144-145.

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179. Interview de Harlem Désir par Chemin (Michel), Lifting pour l'anti-racisme, Libération, 20 février 1985.

180. Voir en particulier Bouamama (Saïd), Dix ans..., op. cit., notamment p. 122 et 123 et Jazouli, L'action collective... et Boubeker (Ahmed) et Abdallah (Mogniss H.), Douce France..., Quo Vadis, op. cit., p. 84-106, notamment p. 84, « au crépuscule du modèle jacobin ».

181. Harlem Désir interviewé par Richard Michel, « Le racisme est injustifiable », Révolution, 29 mars 1985.

182. Harlem Désir, Touche pas..., op. cit., p. 132.

183. Harlem Désir interviewé par Jean Liberman, Harlem Désir : « Non, la France n'est pas raciste », L'Unité, 3 janvier 1986.

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184. Propos de Harlem Désir rapportés dans Chemin (Michel), Lifting pour l'antiracisme, Libération, 20 février 1985.

185. Voir Bouamama (S.), Le Nord contre les fayots de la République, In Abdallah (M. H.) et Boubeker (A.), Douce France la saga du mouvement beur, Quo Vadis, automne-hiver 1993, p. 62-63 pour une justification du rejet de ce mode « d'intégration » : « Je crois que ce multiculturalisme des années beurs n'était qu'une apparence. Quand le rapport de force a changé, les socialistes ne se sont plus embarrassés de discours de façade. Dès 1985 le fond de leur pensée est claire : “assimilez-vous !” »

186. Harlem Désir, Touche pas..., op. cit., p. 145.

187. Harlem Désir interviewé par Eric Favereau et Véronique Brocard, Harlem Désir : les dessous de l'après-fête, Libération, 13 juin 1985.

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188. Harlem Désir interviewé par Eric Favereau et Michel Chemin, Harlem Désir : cause à tes potes, leur tête est malade, Libération, 25 mars 1985.

189. Harlem Désir interviewé par Judith Waintraub, Harlem Désir au Quotidien de Paris : « les immigrés sont les otages des élections », Le Quotidien de Paris, 2 janvier 1986 ; voir dans la même interview la condamnation des propos de Jean Poperen qui affirmait qu'il était nécessaire que les immigrés s'assimilent à la société française : «  – (Judith Waintraub) Et les déclarations de Jean Poperen, n° 2 du PS, sur la nécessaire “assimilation” ?  – (Harlem Désir) Evidemment, on a très mal ressenti cette prise de position ».

190. Voir aussi l'interview de Harlem Désir par Laurent Joffrin et Robert Schneider, Le Nouvel Observateur, 14 décembre 1989 : « Nous respectons les différences, bien sûr, nous ne sommes pas des tenants de l'assimilation, nous ne demandons pas aux étrangers et à leurs enfants de se renier. Notre philosophie est républicaine, au sens strict. Accuser SOS de “différencialisme”, c'est un contresens ».

191. Harlem Désir, Touche pas..., op. cit., p. 129.

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192. Harlem Désir, Touche pas..., op. cit., p. 130.

193. Voir Belghoul (Farida), Le droit à la différence : une forme voilée de l'exclusion, Vivre ensemble avec nos différences, Paris, Ed. Différences, 1984, notamment : « Le droit à la différence n'aboutit jamais à l'égalité. J'ai conscience d'aborder ici un raisonnement qui risque de surprendre, mais je maintiens que le droit à la différence est peut-être une forme voilée de l'exclusion car finalement, octroyer aux étrangers le droit de n'être pas comme les autres revient, qu'on le veuille ou non, à les empêcher de prendre part à une égalité avec les Français, à une vie sociale et politique démocratique ».

194. Voir en particulier les articles écrits à la suite de la publication par le journal Le Monde des extraits de la lettre du père Christian Delorme critiquant SOS (article non signé, Le père Christian Delorme reproche à SOS une tendance à l'Hégémonie, Le Monde, 8 mai 1985) ; voir Favereau (Eric), SOS-Racisme au tournant : des potes s'en mêlent, Libération, 10 mais 1985, Solé (Robert), Les militants antiracistes découvrent la difficulté de la cohabitation, Le Monde, 10 mai 1985 et Joannès (Frank), SOS Racisme : Les « potes » lavent leur linge sale en famille, Le Matin de Paris, 11 mai 1985.

195. Harlem Désir interviewé par Jean Liberman, Harlem Désir : « Non, la France n'est pas raciste », L'Unité, 3 janvier 1986. Un an plus tard, lors de l'Heure de vérité, Harlem Désir déclarera qu'il « faut qu'ils [les immigrés et les Français] fassent l'effort pour se rapprocher des gens et se rencontrer au-delà de leurs différences dans une communauté de destin », cité in Harlem Désir : avocat de l'intégration, Le Figaro, 20 août 1987.

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196. Ainsi Harlem Désir déclare-t-il en juin 1987 qu'il faut « organiser aujourd'hui la vie ensemble, tout en refusant la voix de l'assimilation uniformisatrice, du style “lave plus blanc”, ou celle de l'enfermement dans la différence, du genre ghettos anglais ou américains », cité in Dominique Le Guilledoux, Libération, 20 juin 1987.

197. Harlem Désir critique ainsi ceux qui, au sein du Parti socialiste, ont été en pointe dans la polémique sur le foulard islamique (Régis Debray, Jean-Pierre Chevènement, Jean Poperen) : « Nous assistons au retour d'un nationalisme de gauche qui rappelle les mauvaises heures du mollétisme colonial. Aujourd'hui, ce courant est plus assimilationniste que républicain », Harlem Désir interviewé par Laurent Joffrin et Robert Schneider, Le Nouvel Observateur, 14 décembre 1989.

198. « Obliger un jeune à s'exprimer en ces termes, c'est lui imposer de manifester une fracture avec ses origines, avec ses parents, de choisir entre son pays et ses parents en terme d'exclusive là où il s'agit de concilier. » Harlem Désir cité in Jean Quatremer, Enfants du sol, enfants du sang, égaux devant la nationalité, Libération, 14 octobre 1987. Un tel choix est d'ailleurs difficile à matérialiser. La possibilité pour les fils d'Algériens de faire leur service militaire soit en France soit en Algérie, objective cette alternative. De même, la réforme du Code de la nationalité oblige l'ensemble des « jeunes issus de l'immigration » à faire une demande de nationalité française.

199. Harlem Désir interviewé par Jean Liberman, Harlem Désir : « Non, la France n'est pas raciste », L'Unité, 3 janvier 1986.

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200. Comme par exemple durant l'affaire des foulards.

201. Voir par exemple les déclarations à L'Express de Jean Poperen sur « l'affaire du foulard islamique » : « Le port du voile ne peut manquer d'être ressenti par les autres comme une manifestation de prosélytisme religieux. Prenons garde : si nous ne retrouvons pas les chemins de tolérance de la laïcité, la France ira tout droit vers une forme de libanisation pacifique. [...] SOS et la section locale de la Ligue des droits de l'homme [...] se rendent-ils compte que l'affaire de Creil ne peut que nourrir l'intolérance ? », L'Express, 13 octobre 1989.

202. En 1987, après le passage de Harlem Désir à l'Heure de vérité, les journalistes qui commentent sa prestation semblent considérer comme solidement établi que SOS ne défend pas le « droit à la différence » et cela depuis déjà longtemps. Ainsi Laurent Joffrin écrit que pour SOS « les immigrés ne sont pas accueillis en raison du droit à la différence, ou bien en vertu de la grandeur d'âme du bon peuple, mais au non de l'intégration républicaine. Ils reçoivent égalité de droits et de devoirs, à la condition d'adhérer à leur tour au contrat, qui suppose non pas l'assimilation destructrice d'identité, mais le strict respect de la loi » ; Laurent Joffrin, Harlem a mis le droit dessus, Libération, 21 août 1987.

203. Voir par exemple Dominique Jamet, Melting-potes, Le Quotidien de Paris, 17 juin 1985 : « La France au début du troisième millénaire sera [...] une authentique communauté, multiraciale, multinationale, pluriculrurelle. Est-ce à dire que notre identité doive en être menacée ou renouvelée et enrichie ? [...] L'exemple des Etats-Unis, mélange réussi de cultures et de nationalités, nous enseigne qu'une nation puissante, rayonnante, prospère, sûre d'elle-même, absorbe, digère, assimile les apports étrangers qui étouffent ou que rejette une nation débilitée, divisée, amoindrie », (c'est moi qui souligne).

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204. Manifeste pour l'intégration par la ville et par l'école, congrès de Longjumeau, 28-30 avril 1990, p. 28.

205. Manifeste pour l'intégration par la ville et par l'école, congrès de Longjumeau, 28-30 avril 1990, p. 16.

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206. Manifeste pour l'intégration par la ville et par l'école, congrès de Longjumeau, 28-30 avril 1990, p. 23.

207. Manifeste pour l'intégration par la ville et par l'école, congrès de Longjumeau, 28-30 avril 1990, p. 17.

208. Manifeste pour l'intégration par la ville et par l'école, congrès de Longjumeau, 28-30 avril 1990, p. 14.

209. Manifeste pour l'intégration par la ville et par l'école, congrès de Longjumeau, 28-30 avril 1990, p. 43.

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210. Manifeste pour l'intégration par la ville et par l'école, congrès de Longjumeau, 28-30 avril 1990, p. 24.

211. Harlem Désir au congrès de Longjumeau (avril 1990), cité in Jean-Jacques Bozonnet, SOS-Racisme se mobilise contre les « idées molles » de la classe politique, Le Monde, 2 mai 1990.

212. Manifeste pour l'intégration par la ville et par l'école, congrès de Longjumeau, 28-30 avril 1990, p. 25.

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213. Manifeste pour l'intégration par la ville et par l'école, congrès de Longjumeau, 28-30 avril 1990, p. 45.

214. Manifeste pour l'intégration par la ville et par l'école, congrès de Longjumeau, 28-30 avril 1990, p. 44.

215. « Il faut dégager des crédits supplémentaires pour le logement social, par le biais d'un grand emprunt ». Manifeste..., op. cit., p. 45.

216. « Il faut mettre sur le marché locatif social tous les logements vides non loués ». Manifeste..., op. cit., p. 44.

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217. Manifeste pour l'intégration par la ville et par l'école, congrès de Longjumeau, 28-30 avril 1990, p. 39.

218. Manifeste pour l'intégration par la ville et par l'école, congrès de Longjumeau, 28-30 avril 1990, p. 38.

219. La qualification de certains lycées en « zones d'éducation prioritaires » (ZEP) leur permet d'obtenir des moyens supplémentaires.

220. Voir Harlem Désir, Une loi-cadre pour l'intégration, Le Monde, 10 novembre 1989.

221. Manifeste pour l'intégration par la ville et par l'école, congrès de Longjumeau, 28-30 avril 1990, p. 40.

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222. Voir Bouamama (Saïd), Dix ans... et Bouamama (Saïd), Le nord contre les fayots de la République, in Douce France..., Quo Vadis, op. cit., p. 62 et 63 : « je pense que le PS n'a jamais misé un radis sur l'interculturel. Les socialistes ont tenté de résoudre la question de la différence autour du folklore. [...] Quand le rapport de force a changé, les socialistes ne se sont plus embarassés de discours de façade. Dès 1985 le fond de leur pensée est claire : “assimilez-vous !” »

223. Voir Boubeker (Ahmed) et Abdallah (Mogniss H.), Le Beauf d'à côté, in Douce France..., Quo Vadis, op. cit., p. 39-41. « La figure du beauf, surveillant jour et nuit les allées et venues des gosses de ses voisins arabes, incarne le comble de la psychose sécuritaire. Les petites peurs franchouillardes prennent parfois une allure tragique ».

224. Ainsi, lorsque le 15 mars 1987 SOS-Racisme et la plupart des autres associations antiracistes organisent avec les partis d'opposition une manifestation contre le projet de réforme du Code de la nationalité, Djida Tazdaït (dirigeante des JALB  – jeunes arabes de Lyon et de sa banlieue  – ) déclare à la presse que « Tout cela sent la récupération politique et les préoccupations électoralistes. Nous, nous avons mieux à faire : il y a des expulsions sur le terrain. » (c'est moi qui souligne), propos rapportés par Raphaëlle Rerolle, Le Monde, 16 mars 1987.

225. Cet attitude changera après 1992. Mais l'association ne prendra position que pour une libéralisation limitée des « drogues douces », qui engendrent beaucoup moins de délinquance que l'héroïne. Voir le compte-rendu de la « commission drogue » au IIIème congrès de SOS-Racisme à Créteil et, dans la revue de la Fédération nationale des maisons des potes, Drogue : L'urgence dure !, Potapote, octobre-novembre 1994, p. 6-7.

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